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Les Dessins de Kafka
1. Der Denker
Le Penseur
2. Mann zwischen Gittern
Homme entre des grilles
3. Mann mit Spazierstock
Homme avec une canne
4. Mann mit Kopf auf Tisch
Homme avec la tête sur la table
5. Mann vor stehendem Spiegel
Homme devant un miroir sur pied
6. Sitzender Mann mit gesenktem Kopf
Homme assis avec la tête penchée
7. Fechter
Escrimeur
8. Läufer
Coureur
9. Drei Läufer
Trois coureurs
10. Die Tänzerin Eduardowa […] in der Elektrischen in Begleitung zweier Violinisten
La danseuse Eduardowa […] dans la lumière électrique, accompagnée par deux violonistes
Tagebuchtext, Gandelman, S. 266:
11. Mann, auf Händen und Füßen gehend (oder, um 90° gedreht: Mann auf Leiter)
Homme marchant à quatre pattes (ou, tourné à 90° : homme sur une échelle)
12. Jockey auf Pferd
Jockey sur un cheval
13. Kutsche mit Pferden
Carrosse à chevaux
14. Ansichten aus meinem Leben
Illustrations de ma vie
15. Eßunlustig
Inappétence
16. Etwas von meinen „Beschäftigungen“
Une part de mes "occupations"
17. Japanische Gaukler
Bateleur japonais
18. Akrobaten
Acrobates
19. Mann zwischen Fabeltieren
Homme entouré d'animaux fabuleux
20. Schlangendame
Femme-serpent
21. Protestumzug
Cortège de manifestants
22. Gehende Figuren
Figures mouvantes
23. Sänfte beim Fluß und Baum
Chaise à porteurs et arbre
24. Goethes ,Gartenhaus am Stern
Maison de campagne de Goethe
25. Glockenturm, vermutlich in Osteno
Clocher, probablement à Osteno
26. Kirche und Häuser in Gandria (oben) / Springbrunnen in San Margherita (unten)
Eglise et maisons à Gandria (en haut) / Fontaine à San Margherita (en bas)
27. "Eine derartige Brücke" [Reisetagebuch, August/September 1911]
"Un tel pont" [jounal de voyage, août/septembre 1911]
Lors d'un voyage en train entre Prague et Zürich
28. Spieltisch im Casino des Kurhauses, Luzern
Table de jeu dans le casino de la maison de cure, Lucerne
29. Wohnsituation in der Villa Tatra, Tatranské Matliare
Situation du logement dans la villa Tatra, Tatranské Matliare
30. Bittsteller und vornehmer Gönner
Pétionnaire et bienfaiteur distingué
31. Abraham opfert seinen Sohn Isaak
Le Sacrifice d'Abraham
32. Mann am Tisch, Wirtin hinter der Wand
Homme assis à table, aubergiste derrière le mur
33. Frauenkopf und Pferdebein (nach Leonardo da Vinci)
Tête de femme et patte de cheval (d'après Léonard de Vinci)
34. Malträtierter Mann vor einem Tisch, mit Zuschauern
Homme maltraité devant une table, avec des spectateurs
35. Mürrischer Mann in schwarzem Anzug
Homme grincheux en costume noir
36. Der wilde Trinker
Le Buveur sauvage
37. Spaziergänger ohne Hose auf dem Dach
Promeneur sans pantalon sur le toit
38. Zwei Wartende
Deux personnes qui attendent
39. Ottlas Gabelfrühstück
Second petit-déjeuner d'Ottla (petite-soeur de Kafka)
40. Dora Diamant
41. Mutter Kafka lesend (oben) / Selbstporträt (unten)
Mère de Kafka lisant (en haut) / Autoportrait (en bas)
17/11/2012 | Lien permanent
Dessins de Dostoïevski. Les Portraits
Interprétation physionomique du type de "l'insecte voluptueux", environ 1860
Représentation du personnage en cire de Pierre I façonné par le sculpteur Rastrelli. Dessin effectué au cours de la rédaction de Crime et châtiment, 1865
Tentative de définition graphique du "visage de l'idée" du personnage principal du roman L'Idiot (première version), 1867
Représentation du visage du personnage principal du roman L'Idiot (première version), 1867
Esquisse du portrait de l'idiot - personnage principal de la première rédaction inachevée du roman L'Idiot, 1867
Esquisses du portrait d'un vieillard, représentant de l'idée de la renaissance chrétienne de la Russie, et "idiot", personnage principal du projet inabouti du roman L'Idiot (première rédaction), 1867
Dernier des portraits du personnage principal du roman L'Idiot, 1867
Portrait du général Epantchine, un des personnages du roman L'Idiot, 1868
Autoportrait de Dostoïevski en jeune homme (18-20 ans), représentation d'un vieillard, représentation légèrement caricaturale de Gioachino Rossini, mort l’année de la réalisation de ce dessin.
Florence, 1868
Portrait de vieillard ayant une ressemblance avec le Saint Tikhon de Zadonsk, 1868
Portrait. Deuxième Carnet de notes pour le roman Les Démons, 1870-1871
Portrait d'un jeune homme sur le manuscrit du deuxième chapitre de la troisième partie du roman Les Démons, 1871-1872
Jeune moine. Dessin réalisé au stade de l'achèvement du roman L'Adolescent, Il semble indiquer le sujet de sa prochaine œuvre Les Frères Karamazov, 1875
Esquisse d'un chercheur de vérité orthodoxe russe issu du monde paysan.
Il a reçu son incarnation littéraire avec Makar Ivanovitch Dolgorouki (L’Adolescent).
1873-1874
Unique dessin de portrait se trouvant dans les manuscrits du Journal d'un écrivain. 1876-1877.
Il ressemble à Andreï Kraïevsky, célèbre éditeur dans les années 1840.
1877
Portrait dans les carnets du roman Les Frères Karamazov, 1878-1880
Portrait d'un "pèlerin" et "visage de l'idée" d'Aliocha Karamazov, 1879
16/11/2013 | Lien permanent
Dessins de Sergueï Eisenstein 2
09/10/2013 | Lien permanent
Dessins de Sergueï Eisenstein 3
07/11/2013 | Lien permanent
Dessins de Sergueï Eisenstein 4
07/11/2013 | Lien permanent
Dessins de Sergueï Eisenstein 1
01/01/2013 | Lien permanent
Arseni Tarkovski. Paul Klee
Paul Klee
Il a vécu et été l’artiste Paul Klee
Quelque part derrière les monts, au-dessus des près.
Il était assis seul dans l’allée
Avec ses crayons de couleur,
Il dessinait des carrés et des crochets,
L’Afrique, un enfant sur un quai,
Un diablotin en chemise bleue,
Des étoiles et des bêtes féroces sur l’horizon.
Il ne voulait pas que ses dessins
Soient la carte d’identité de la nature,
Où s’alignent au doigt et à l’œil
Les gens, les chevaux, les villes et les eaux.
Il voulait que les lignes et les taches,
Comme des sauterelles dans les carillons de juillet,
Parlent ensemble et se comprennent.
Et un matin, sur un carton
Parurent une aile et une nuque :
L’a
01/05/2014 | Lien permanent
Ingmar Bergman. La Peau du serpent
La Peau du serpent
Discours écrit par Ingmar Bergman en 1965
La création artistique s’est toujours manifestée chez moi comme une faim. Je constatais ce besoin avec une paisible satisfaction, mais jamais pendant toute ma vie consciente, je ne me suis demandé d’où venait cette faim et pourquoi elle demandait à être satisfaite. Ces dernières années, ma faim commence à diminuer et je trouve qu’il est important de rechercher la raison même de mon activité.
Je me souviens que, dès ma plus tendre enfance, j’ai eu envie d’exhiber mes talents : mon habileté à dessiner, mon art de frapper une balle contre un mur, mes premières phrases.
Je me souviens que j’éprouvais un vif besoin d’attirer l’attention des grandes personnes sur ces manifestations de ma présence au monde. Je trouvais que les autres ne s’intéressaient jamais assez à moi. Et puis, la réalité ne suffisant plus, j’ai commencé à imaginer, à entretenir ceux de mon âge d’histoires inouïes autour de mes exploits secrets. C’étaient des mensonges gênants qui se brisaient irrémédiablement face au scepticisme réaliste de mon entourage. Je finis donc par me retirer de la communauté et je gardai pour moi mon monde de rêves. C’est ainsi qu’un enfant avide de contacts et obsédé par son imagination se transforma assez rapidement en un rêveur blessé et rusé.
Mais un rêveur n’est artiste que dans ses rêves.
Il alla de soi que le cinématographe devînt mon moyen d’expression. Je me faisais comprendre dans une langue qui ne passait pas par le langage qui me manquait, par la musique que je ne dominais pas, par la peinture qui me laissait froid. J’avais soudain une possibilité de correspondre avec le monde autour de moi dans une langue qui se parle littéralement d’âme à âme dans des tournures qui, presque voluptueusement, se soustraient au contrôle de l’intellect.
Avec toute la faim rentrée de l’enfant que j’étais, je me suis jeté sur mon médium et, pendant vingt ans, sans me lasser, avec une sorte de fureur, j’ai transmis des rêves, des sensations, des fantasmes, des crises de folie, des névroses, des stases de la foi et de purs mensonges. Ma faim a sans cesse été neuve. L’argent, la célébrité, le succès ont d’une façon surprenante, mais finalement peu intéressante, bordé mon passage. En disant ça, je ne sous-estime absolument pas ce que, par aventure, j’ai pu réaliser. L’art en tant que satisfaction de soi peut avoir, naturellement, une certaine importance – surtout pour l’artiste.
Si donc je veux être tout à fait franc, l’art (et pas seulement l’art cinématographique) est pour moi sans importance.
La littérature, la peinture, la musique, le cinéma et le théâtre s’engendrent et se nourrissent d’eux-mêmes. Des nouvelles mutations, des nouvelles combinaisons surgissent et s’anéantissent ; vu de l’extérieur le mouvement semble d’une vitalité fébrile alimentée par le superbe empressement des artistes à projeter devant eux et un public de plus en plus distrait un monde qui ne se soucie plus de ce qu’ils pensent. Il existe quelques rares « réserves » où les artistes sont punis et où l’art est considéré comme un risque qui vaut la peine d’être étouffé ou dirigé. En gros, néanmoins, l’art est libre, éhonté, irresponsable et, comme je viens de le dire, le mouvement est intense, presque fébrile, il ressemble me semble-t-il à une peau de serpent pleine de fourmis. Le serpent lui-même est mort depuis longtemps, vidé, privé de son venin, mais la peau bouge, pleine d’une vie diligente.
J’espère et je suis convaincu que d’autres ont une conception plus équilibrée et prétendument objective de la situation. Si je considère tous ces ennuis et si je prétends malgré tout vouloir continuer à « faire de l’art », il y a une raison très simple à ça. (Je laisse de côté les raisons purement matérielles.)
Cette raison, c’est la curiosité. Une curiosité sans bornes, jamais apaisée, sans cesse renouvelée, insupportable, qui me taraude, ne me laisse jamais en paix et qui a complètement pris la place de ma faim de participation des premiers temps.
Je me sens comme un prisonnier qui, de retour d’une longue peine, débarque soudain parmi les fracas, les hurlements de la vie. Je suis pris d’une curiosité impossible à réfréner. Je note, j’observe, je regarde partout, tout est irréel, fantastique, effrayant ou ridicule. J’attrape une poussière qui vole dans l’air, c’est peut-être le début d’un film – quelle importance ? Aucune, mais moi, je trouve ça intéressant et je prétends donc : voilà un film. Je vais et je viens avec cet objet qui m’est propre, que j’ai attrapé moi-même, et je m’en occupe avec gaieté ou mélancolie. Je me presse avec les autres fourmis, nous faisons un travail colossal. La peau de serpent bouge. Et cela, cela seul est ma vérité. Je ne demande pas que ce soit une vérité pour quelqu’un d’autre et, en tant que consolation pour l’éternité, c’est évidemment un peu maigre, mais en tant que base d’une activité artistique pour ces quelques années à venir, c’est évidemment tout à fait suffisant, du moins pour moi.
Être un artiste pour son propre compte n’est pas toujours agréable, mais cela a un avantage extraordinaire : l’artiste partage sa condition avec chaque être vivant qui, lui aussi, n’existe que pour lui. En fin de compte, cela crée sans doute une assez grande fraternité qui existe ainsi au sein d’une communauté égoïste sur notre terre chaude et sale sous un ciel froid et vide.
18/08/2013 | Lien permanent
Monsieur le décorateur, Oleg Teptsov, 1988
Господин оформитель
A Saint-Pétersbourg, au début du XXe siècle, l’artiste Platon Andreïevitch travaille en tant que décorateur de théâtre. Mais sa vocation est ailleurs, il voudrait créer une œuvre immortelle, parfaite. En 1908, un bijoutier lui commande un mannequin pour la devanture de son magasin. Anna, une fille pauvre et phtisique, lui sert de modèle. Il reproduit la beauté de son visage mourant sur un buste de cire. En 1914, à la veille de la Première Guerre mondiale, la Russie resplendit de couleurs flétrissantes. L’inspiration artistique de Platon décline. Il se drogue. Il est au bord de la ruine. Il finit par accepter de décorer la maison d’un homme d’affaires riche, Monsieur Grilo. Lorsqu’il rencontre sa femme, il est persuadé qu’il s’agit d’Anna. Bien que Madame Grilo le nie catégoriquement à plusieurs reprises, il n’en démord pas. Pour le lui prouver, il finit par lui montrer les esquisses de la jeune fille qu’il avait dessinées à l’époque. Elles jettent un trouble.
Platon se convainc qu’elle est le mannequin de cire qu’il a créé, c’est-à-dire que son œuvre est devenue vivante. Il essaie alors de la reprendre à son mari. Une compétition s’en suit, qui culmine dans ce qui est sans doute une des scènes de partie de poker les plus impressionnantes de l’histoire du cinéma. La femme quitte son mari dès qu’il a perdu au jeu, puis quitte son amant, puis revient vers son amant une fois son mari mort. Finalement, elle aura raison de deux hommes, qui mourront comme les victimes d’une adoration maléfique.
On pourrait considérer ce film comme une réécriture du Portrait ovale, la nouvelle d’Edgar Allan Poe, une variation autour du thème de l’objet d’art qui devient vivant au prix d’un sacrifice. Ou bien une histoire romantique de femme qui provoque la chute d’un homme en devenant l’objet d’une obsession. Mais, il semble que son intérêt se trouve surtout dans sa représentation de l’âge d’argent, cette période de l’art russe où triomphait le symbolisme.
Dans Vers La Fin du mythe russe, Georges Nivat écrit : « Du symbolisme européen le russe a hérité la conviction que la langue poétique — grâce au symbole — a un statut épistémologique particulier et peut forger un discours non discursif sur le divin, l'absolu. Cela, c'est la « religion » du symbolisme russe. » Platon Andreïevitch s’inscrit pleinement dans ce courant puisqu’il est persuadé qu’il peut aller jusqu’à se substituer à Dieu en donnant vie à son œuvre. Mais ce délire des grandeurs, pour se justifier, a besoin d’une contrepartie : la mort, la pourriture. Ainsi, l’artiste peut se mettre en scène dans une lutte magnifique ou sordide et asseoir ses prétentions. Andreï Biély, dans La Magie du mot, place le cadavre au cœur même de l’écriture : « Nous devons exercer notre force à la combinaison des mots ; de cette manière, nous nous forgeons une arme pour le combat contre les cadavres vivants qui s’insinuent dans le cercle de notre activité ; nous devons être des barbares, des bourreaux du mot courant, puisque nous ne pouvons lui insuffler la vie. »[i]
Platon, lui aussi, est obsédé par les cadavres, et plus généralement par tout ce qui connote la monstruosité. Le film est ponctué de plans sur des dessins à l’imaginaire débridé et censément inquiétant. Par cette proximité avec l’angoisse ou le dégoût, les symboles mystérieux qui passionnent l’artiste acquièrent plus de force. Son ésotérisme repose sur un fond malsain et s’en nourrit.
Mais le film ne s’arrête pas à cette dualité divin & absolu / malsain & mort. En accord avec le précepte de Biély, il libère, après la mégalomanie, une autre grande force du sous-sol : la violence, la cruauté (du « barbare », du « bourreau »). La scène où Platon poursuit follement une religieuse dans un dédale de ruelles rappelle le comportement d’Arkadi Dolgorouki, l’Adolescent de Dostoïevski, lorsqu’il s’amuse à effrayer une jeune fille en la suivant dans la rue. Derrière l’intrigue hoffmannienne un peu démodée qui lui sert de cadre, Monsieur le décorateur suggère une interprétation des profondeurs bien humaines de l’âge d’argent : sous le fatras des symboles, un orgueil démesuré et une violence sourde.
Cependant, le film ne nous montre pas d’acte barbare. En effet, la violence reste contenue dans les codes de conduite aristocratiques du début du vingtième siècle. Le jeu hallucinant de Viktor Avilov reflète merveilleusement la maîtrise du bouillonnement de pulsions malsaines qu’il renferme en lui. Le sadisme ne s’exprime pas sur son visage. La retenue, un reste de noblesse, ainsi qu’une attitude pensive, absente, méprisante, l’en empêchent. Le sadisme est sur le point de poindre, on le pressent, on l’attend, mais il ne vient pas. Il ne s’imprime sur son visage, comme s’il était un personnage onirique.
De cette démystification il ne résulte aucune condamnation sur le plan artistique. Le film reste volontairement ambigu. Platon, comme les productions artistiques de l’âge d’argent, peut appartenir à la catégorie du génie flamboyant ou du fou inepte. Sa fascination pour le mal, la mort la folie n’est ni un critère disqualifiant, ni un gage de profondeur ou de talent.
Ce qui est sûr, en revanche, c’est que le film représente une période de décadence. Il se clôture d’ailleurs sur une belle demeure laissée à l’abandon, dégradée, comme si le délire, à l’instar de La Montagne magique, ne pouvait prendre fin que dans la violence et la ruine.
17/07/2012 | Lien permanent
Narda o el verano
Narda o el verano de Salvador Elizondo
Paru en 1966, Narda o el verano est le premier recueil de nouvelles publié par Salvador Elizondo (1932-2006). Il est composé de cinq récits. Les deux derniers, La Puerta et La historia según Pao Cheng, se caractérisent par leur fonction autoréférentielle : le texte littéraire comme serpent qui se mord la queue, la malédiction de l’écriture :
« Il comprit, à ce moment-là, qu’il s’était soi-même condamné, pour toute l’éternité, à continuer à écrire l’histoire de Pao Cheng, car si son personnage était oublié et mourait, lui, qui n’était rien de plus qu’une pensée de Pao Cheng, disparaîtrait aussi. »[i]
Si ce jeu borgésien clôture l’ouvrage, les trois premières nouvelles se situent sur un autre plan. Leurs stratégies narratives se construisent beaucoup moins autour d’une réflexion métalittéraire. Elizondo s’appuie davantage sur la sensibilité, développant les dimensions visuelle et sonore de l’espace dans lequel il déroule ses récits. Il en résulte une écriture que la critique a souvent qualifiée de cinématographique, une métaphore qui se prolonge jusque dans l’agencement des scènes, comparable au montage d’un film – ce procédé culmine dans la succession de plans contre-plans de En la playa.
Cet appel aux sens n’empêche pas une certaine étrangeté de planer sur ces trois nouvelles. Elle entraîne « un état d’âme supplémentaire, plus émotif qu’analytique, qui représente le germe d’une poétique […]. La poésie sous-jacente aux récits de Narda o el verano n’est autre que la précision à laquelle contraint la combinaison cadencée entre phrases courtes et phrases longues, incluant les incidentes et les explétives. Le sens de la musicalité lui permet un contrôle impeccable de la netteté et de l’économie expressives. »[ii] Sans nier l’importance du rythme et de la stylistique, il me semble pourtant que la puissance de la poétique d’Elizondo est ailleurs.
En la playa met en scène la poursuite en barque, puis sur le sable d’une île, d’un homme gros et maladroit par un homme dont la supériorité mentale et physique est indéniable. Ce déséquilibre de force est accentué par le nombre (le persécuteur a quatre rameurs à son service alors que le gros est tout seul) ; et par les armes (un Purdey (c’est-à-dire une arme pour tuer les éléphants) contre un Luger). Qui plus est, le gros est blessé, il a du mal à manier sa barque, il s’enlise dans le sable de la dune, le lacet de sa chaussure est défait, il est à découvert, autant de facteurs qui dessinent nettement une situation de dominant / dominé. Le gros « baignait dans la sueur, et la saleté de son costume de lin blanc se collait à la grosseur du corps, empêchant ou rendant plus difficile ses mouvements. »[iii] En plus d’être placé dans une position inférieure, le gros est enlaidi par la description, il est lié à des éléments provoquant habituellement le dégoût. Après une longue poursuite, son assaillant le tient en joue « pour lui tirer entre les deux yeux ; mais ensuite, il baisse un peu le fusil, jusqu’au sexe, pour lui tirer dans le ventre, parce qu’il pensa que s’il lui tirait dans la tête, le gros ne sentirait pas sa propre mort et que s’il lui tirait dans le torse, il le tuerait trop vite. Le gros le regardait avec les mains collantes, ensanglantées, séparées du corps, dans une attitude féminine et désemparée. »[iv]
Toute la violence sourde du récit se termine dans une explosion que l’auteur tord allusivement et métaphoriquement vers la sexualité. La cruauté du tueur et l’impuissance de sa proie basculent fugacement dans un autre domaine, comme si on avait intercalé dans la pellicule d’un film d’aventure le photogramme d’une scène sexuelle.
Dans Puente de piedra, une torsion similaire est effectuée, mais au lieu de se diriger vers la sexualité, elle en part. Un jeune homme invite une fille à un pique-nique dans la nature, une sortie au terme de laquelle il a l’intention de la faire sienne. Dès le début, le dénouement érotique est qualifié de sacrifice.[v] On passe devant ce mot sans y prêter attention, comme s’il s’agissait d’une métaphore d’un autre temps, d’un monde dont les valeurs n’ont plus cours. Pourtant, là encore, Elizondo nous indique que violence et sexe sont liés. Comme le gros de En la playa, la jeune fille est gênée (non pas sur le plan physique, mais psychologique). Elle semble troublée, elle se comporte avec gaucherie, elle fait tout pour retarder le moment de leur union. On observe par ailleurs la même dissymétrie entre les deux personnages, une opposition entre la force et la faiblesse.
« A chaque fois qu’il pensait qu’elle était un être maladif, il l’aimait davantage. En ce moment, il aurait voulu lui prendre la main, la caresser, lui exprimer d’une manière ou d’une autre le délice que produisait en lui la compassion qu’elle lui inspirait. »[vi]
Lorsqu’enfin il l’embrasse, à peine leurs lèvres se touchent, qu’un cri, « comme un jet de sang »[vii], les sépare. Un enfant albinos, difforme, dément, au crâne réduit, au sourire pareil à une grimace obscène, leur fait un geste incompréhensible et sale. Le couple horrifié s’en va, et chacun rentre chez lui. Bien que l’acte sexuel ne soit pas consommé, les allusions abondent : borbotón de sangre, espasmo, las faldas de los montes, manos crispadas le clavaban las uñas en los brazos. Au lieu d’utiliser métaphoriquement un autre champ sémantique pour décrire l’acte sexuel, ce dernier est empêché par un élément fictionnel dont la description fait appel au champ sémantique de la sexualité.
Ce surgissement de l’horreur, de l’obscène et de la saleté au moment de la scène érotique doit être mis en parallèle avec l’irruption de la sexualité lors du déchaînement de violence cruelle à la fin de En la playa. Les deux récits se développent suivant une intentionnalité (meurtre, acte sexuel) qui débouche finalement sur autre chose. Pour chacun d’eux, deux domaines considérés normalement comme disjoints se télescopent.
Dans Narda o el verano, la femme que les deux héros se partagent avoue qu’un de ses anciens amants lui “plaisait beaucoup, parce qu’il était capable de manger un lapin vivant, le détruisant petit à petit, le tuant à force de mordre dedans, et parce qu’il l’emmenait se balader sur la côte dans sa Rolls revêtue de velours rouge. »[viii] Cette entrée soudaine d’une violence cruelle dans une nouvelle qui recyclait jusque-là les thèmes du libertinage et de la séduction ne doit pas être confondue avec un petit intermède surréaliste buñuelien. Elle modifie les modalités de la lecture. Quelques pages plus loin, on trouve : « Quand par accident ses yeux rencontraient les nôtres, son regard nous transperçait, passait sur nous comme si nous n’existions pas, anéantissant notre présence avec sa froideur, dissolvant notre existence par son mépris. »[ix] Lues isolément, ces métaphores censément violentes appliquées au regard de la femme désirée ne possèdent en réalité aucune dynamique tant elles ont été usées par des siècles de poésie et de roman d’apprentissage. Elles ne provoquent aucun détachement de la signification, aucun transport dans un champ nouveau. Ce n’est que par le surgissement de la violence extrême et ponctuelle des pages précédentes qu’Elizondo les revitalise. Cette violence reste tapie derrière la lecture sans se laisser oublier. Le lecteur sent qu’elle menace de surgir à tout moment, si bien que, quand une description la convoque, la métaphore a beau être quasiment morte, elle devient vive. Elizondo réintègre la violence dans la séduction, le désir, non pas en adjoignant une explication destinée à l’intellect et s’appuyant sur des concepts, mais par la convocation de la sensibilité et par la rupture métaphorique.
La poétique d’Elizondo se joue donc dans le tremblement fugitif de la fonction référentielle. Une ambiguïté s’introduit et entraîne la coexistence de deux mondes, celui du sexe, du désir et celui d’un magma de forces ou d’énergies négatives (violence, horreur, sadisme, souffrance, obscénité, gêne…). Notre vision rassurante de la séduction et de la sexualité perd alors son équilibre. L’auteur désenclave le sexe du kitsch dans lequel on ne cesse de le maintenir. Il brise la configuration habituelle de nos représentations pour coller deux morceaux qu’on avait tendance à tenir éloignés. Le kitsch est attaqué non par la rationalité (à l’instar de Sade quand il argumente contre la morale chrétienne), mais par la torsion vers la violence, un tremblement brutal ou discret de la scène. Elizondo ne propose à la place aucune vérité ou représentation. Il se contente de mettre à mal la naïveté dans laquelle nous vivons. Il nous déconcerte, il rend nos bases chancelantes. Il déferre le grand rail du progrès sur lequel nous sommes, sur le plan intellectuel, confortablement installés.
[i] “Comprendió, en ese momento, que se había condenado a sí mismo, para toda la eternidad, a seguir escribiendo la historia de Pao Cheng, pues si su personaje era olvidado y moría, él, que no era más que un pensamiento de Pao Cheng, también desaparecería.”, Salvador Elizondo, Narda o el verano, Fondo de cultura económica, México, 2000, p.98.
[ii] “En el caso de Elizondo se trata de un estado de ánimo adicional, más emotivo que analítico, que representa el germen de una poética, lo que más tarde se convertiría en su referente más ostensible. La poesía que subyace en los relatos de Narda o el verano no es otra que la precisión a la que obliga la combinatoria cadenciosa entre frases cortas y frases largas, incluidas las frases incidentales y las frases expletivas. El sentido de musicalidad le permite tener un control impecable de nitidez y economía expresivas.”
Sada, Daniel, (2009) “La escritura obsesiva de Salvador Elizondo” [en línea]. Revista de la Universidad de México. Nueva época. Agosto 2009, No. 66.
<http://www.revistadelauniversidad.unam.mx/6609/sada/66sada.html>
[iii] “Estaba empapado de sudor y el sucio traje de lino blanco se le adhería a la gordura del cuerpo impidiendo o dificultando sus movimientos.” Salvador Elizondo, Op. cit., p.21.
[iv] “Le tenía la cruz puesta en el cuello para darle en medio de los ojos, pero luego bajó el rifle un poco más, hasta el sexo, para darle en el vientre, porque pensó que si le daba en la cabeza el gordo no sentiría su propia muerte y que si le daba en el pecho lo mataría demasiado rápidamente.
El gordo lo miraba con las manos colgantes, sangrantes, separadas del cuerpo, en una actitud afeminada y desvalida.” Ibid., p.39-40
21/07/2012 | Lien permanent
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