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25/05/2013

Alekseï Balabanov. Les Règles de la vie

Balabanov, interview, entretien

 Crédits photographiques : Nikita Pavlov

 

Balabanov est décédé le 18 mai 2013 à l’âge de 54 ans.



Je n’ai pas de cercle de connaissance, je sors rarement de chez moi, je n’entretiens pas mes vieilles relations et je ne peux pas supporter les propos futiles.

 

J’ai grandi dans un centre industriel ; là, il n’y avait pas d’autre logique que « tous prennent la fuite, et moi aussi ». La seule chose qui me différenciait des autres est que j’aimais faire des bombes à partir de la panoplie du « jeune chimiste ». Je connaissais plein de composés différents, je les mélangeais et je les faisais exploser. Pourquoi ? Pourquoi tue-t-on les moineaux au lance-pierre ? Parce que cela fait partie de l’instinct du chasseur. Pourquoi casse-t-on les vitres dans les maisons ? Par plaisir.

 

Même à Montréal, je me suis retrouvé une fois en taule. Comme ça, par bêtise. Parce qu’ils sont respectueux des lois, et pas moi. Je n’ai pas plu à un policier, rien de plus. Je l’ai envoyé au diable parce qu’il m’obligeait à faire la queue pour la frontière et j’étais en retard pour le festival. Il a sorti son pistolet, ses menottes, et il m’a obligé à mettre les mains derrière la tête — le grand jeu. Chez nous, tout aurait été plus simple : le policier te frappe à la tête et tu restes assis tranquille.

 

Je n’ai jamais voté. Avant on t’obligeait à aller voter, mais je mettais toujours une enveloppe vide. J’étais membre des jeunesses communistes, mais à mon époque même les voyous l’étaient.

 

J’ai reçu mon premier salaire en seconde [i] pour avoir porté des affaires lors d’une expédition et avoir ramé dans une barque. Nous avons marché dans la région des lacs de l’oblast de Tcheliabinsk. Nous cherchions de la boue curative. Ce sont des endroits complètement perdus — nous avions fait plusieurs jours de jeep pour arriver là-bas. Dans ces lacs, la concentration en sel est monstrueuse, et l’eau est complètement noire. Et il n’y a pas une âme — ni un poison, ni une grenouille. Je pense que dans de tels endroits, on ne trouve même pas d’écrivain à la Ivanov [ii].

 

Je ne sais pas combien coûte le pain dans les supermarchés. Pourquoi j’irais dans les supermarchés ? Jai une femme et des enfants.

 

Mon fils aîné a dix-huit ans. Mais qu’est-ce qu’il est grand ! Il n’a pas l’intention de se marier. Je ne sais pas du tout ce qu’il fait. Il joue encore aujourd’hui à cache-cache avec les petits. Pourtant, c’est un garçon très intelligent, un excellent élève, un des meilleurs de sa classe. Mais il vit dans son monde, très fermé. Ça s’appelle l’infantilisme, c’est très répandu aujourd’hui. C’est un monde complètement différent, et je ne le comprends pas.

 

J’ai une mauvaise mémoire pour tout ce qui concerne le temps présent : aussi bien pour les noms de personne que pour les noms en général ; je ne me rappelle de rien.

 

Ma vie a-t-elle changé durant ces dix dernières années ? Oui, sans doute. Mes enfants ont grandi, j’ai fait d’autres films, mes parents sont malades. Et puis il y a plus de chaînes à la télévision.

 

Pour chaque réalisateur, on trouve seulement un bon film. Des Monstres et des hommes me plait.

 

Gueorgui Danielia est un bon réalisateur, il ne tombe jamais dans la comédie à la Leonid Gaïdaï. Je n’aime pas ce genre de cinéma, quand tout le monde crie et court.

 

Je ne me souviens même pas la dernière fois que j’ai ri. Je ne note pas ce genre de chose. Je me souviens seulement que quand j’avais dix-huit ans, par le biais d’un échange universitaire, j’étudiais à Manchester, et je vivais dans une vieille famille d’ouvriers. Il y avait des enfants, les petits-enfants venaient. Et cela me paraissait très amusant que les enfants parlent en anglais. Avant cela, je n’avais jamais entendu des enfants parler en anglais.

 

J’ai toujours voulu adapter au cinéma Chambre obscure de Nabokov. Mais je pense que je n’aurais pas pu, comme lui, partir, et écrire dans une autre langue. Même si, jeune, j’ai eu ce désir. Mais ensuite je me suis mis à travailler, et, de manière naturelle, tout a été oublié.

 

Je ne considère pas que le cinéma soit un art. L’art, c’est quand une personne fait quelque chose tout seul. Un peintre crée de l’art, un écrivain crée de l’art, mais quand on dépend de cinquante personnes, comment peut-on se permettre de parler d’art ?

 

Je n’ai jamais tiré au clair ma relation avec Dieu. À la différence de Terry Gilliam, pour moi, tout est compréhensible.

 

Je fuis le monde environnant en restant dans ma chambre. Je m’assois et je m’occupe de mes affaires. À la maison, presque personne ne me dérange, à la maison tout le monde me connaît.

 

J’aime les vieux tramways. Il n’y a là aucune métaphore de la modernité, aucun rapport avec Boulgakov. Ils sont beaux, cest tout.

 

Je ne sais pas si je suis un homme bon ou méchant. Ce n’est pas à moi d’en juger. Quand je mourrai, je saurai.

 

Je porte toujours un maillot de marin ; j’y suis habitué.

 
 

Original sur esquire.ru ou ici.

Traduction : Fabien Rothey



[i] Neuvième classe, selon le système éducatif russe. NdT.

[ii] Balabanov fait sans doute référence à Alekseï Ivanov.

Écrit par Fabien Rothey dans Balabanov, Cinéma | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : balabanov, interview, entretien | |  Facebook | |  Imprimer | Pin it! | | |

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