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Dostoïevski. De la conscience

Dostoïevski, conscience

Texte issu des carnets de notes de Dostoïevski 1864-1865.

 

Dans l’esprit humain, le concept d’objet, et même le concept entier, précède toujours la connaissance bien fondée de cet objet. Ainsi, nous percevons la nature dans sa totalité, mais inconsciemment ou peu consciemment.

On peut même dire : la connaissance de l’objet, si elle n’est pas encore tout à fait complète, peut exercer une mauvaise influence sur l’entière perception de l’objet.

(Question : que savons-nous totalement ?) Strictement parlant : moins l’homme a conscience, plus pleinement il vit et sent la vie. Il perd sa capacité vitale proportionnellement à son accumulation de conscience. Ainsi, dit de manière générale : la conscience tue la vie. Chez les gens simples, peut-être grossiers et peu développés, en un mot chez les gens comme nous tous, tout ce que nous venons de dire sur la paralysie de la vie suscite une expression grossière et franche, qui n’est pas du tout aussi bête qu’on la considère habituellement : « Eh, tout ça, c’est de la philosophie ! » disent parfois ces gens, et ils disent vrai, ils énoncent une vérité profonde. Il est remarquable que ce dicton existe chez tous les peuples civilisés. En tant que gens frais, non mutilés par la pensée, ils ne peuvent pas constater sans rire qu’on veuille nous faire prendre la conscience pour la vie. Mais la conscience va parfois encore plus loin et avec davantage d’audace : quand elle veut remplacer la vie par des théories sur la vie, fondées sur des connaissances, découlant directement de la connaissance. Cela n’empêche pas nos théoriciens et beloarapovts [i] de penser à cela. Le type même de ces ventriloques de Belaya Arapia, c’est l’eunuque de Pouchkine (qu’ils aiment si peu) dans La Fontaine de Bakhtchisaraï. Cet eunuque regarde froidement et métaphysiquement la vie véritable et ardente et la comprend aussi bien que nos beloarapovts. La conscience est une maladie. Ce n’est pas de la conscience que viennent les maladies (ce qui est clair en tant qu’axiome), mais la conscience elle-même qui est une maladie.

 
 

Source : Неизданный Достоевский. Записные книжки и тетради. 1860-1881. М.: Наука, 1971, p.251.

 


[i] Belaya Arapia : Dans le folklore russe, on rencontre souvent le terme tchiornij arap, désignant les hommes noirs (Tchiornij = noir). Les anciens bibliophiles russes distinguaient les représentants à la peau blanche de l’Arabie (belaya = blanche). NdT

 

 

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