Dostoïevski. Notes sur ses crises d’épilepsie
« Crises. (1869)
Remarque. A Florence dans la continuation de l’été – les crises ne sont pas fréquentes et pas fortes (même relativement rares), cependant des hémorroïdes externes fortes.
3 août, crise à Florence, en partant.
10 août, crise à Prague, sur la route.
Le 19, crise à Dresde.
Le 4 septembre, crise à Dresde. Très peu de temps après la crise, encore dans le lit, pression douloureuse, littéralement insupportable, dans la poitrine. On a l’impression qu’on peut en mourir. C’est passé en une demi-heure grâce aux cataplasmes (secs, des assiettes et serviettes chaudes avec des cendres chaudes).
14 septembre. Crise la nuit dans mon lit.
NB. D’ailleurs presque toutes les crises ont lieu dans mon lit, dans mon sommeil (le premier sommeil), vers quatre heures du matin.
NB. Relativement aux crises précédentes (toutes ces années et tout le temps), celle-là, série à présent dûment notée depuis le 3 août, constitue une accélération des crises encore sans précédent depuis le début de la maladie ; c’est comme si la maladie entrait dans une nouvelle phase maligne. Pour toutes les années précédentes, on peut dire sans se tromper que l’intervalle moyen entre les crises était, de façon constante, de trois semaines. (Mais c’est seulement une moyenne, une moyenne proportionnelle ; c’est-à-dire qu’il y a eu des intervalles de six semaines, il y en a eu de dix jours, mais en moyenne cela faisait trois semaines). L’accélération actuelle peut être attribuée au changement brusque de climat : Florence et Dresde, la route, le dérèglement des nerfs sur la route et en Allemagne, etc.
Le 30 septembre, la nuit, une crise assez forte (après mes occupations du soir).
1870, 1/13 janvier, crise, forte, après une imprudence, à six heures du matin, dans mon premier sommeil. La distance entre les crises est d’une longueur inouïe – trois mois et dix jours. Par défaut d’habitude, l’état maladif dure très longtemps : la crise a eu lieu il y a cinq jours, et ma tête n’est toujours pas rétablie. On est passé du beau temps (2 ou 3 degrés Réaumur) à un temps pluvieux. La crise a presque eu lieu pendant la pleine lune.
7/19. Crise à six heures du matin (le jour et presque à l’heure de l’exécution de Tropman). Je ne l’ai pas sentie, je me suis réveillé à 9 heures, avec la conscience de la crise. Mal de tête, corps brisé, labilité de la mémoire, état intense et brumeux, comme contemplatif, tout cela dure plus longtemps que les années précédentes. Avant, elle passait en trois jours, et aujourd’hui il en faut peut-être six. Surtout le soir, à la lumière de la bougie, une tristesse hypocondriaque sans objet et comme une nuance (pas une couleur) rouge, sanglante sur tout. Il est presque impossible de travailler pendant ces jours. (J’écris cette note le sixième jour après la crise.)
10 février / 29 janvier. A trois heures du matin, crise d’une force extraordinaire, dans l’entrée, à l’état de veille. Je suis tombé et je me suis cassé le front. Ne me souvenant de rien et n’ayant conscience de rien, sans la moindre altération, j’ai quand même apporté une bougie allumée dans la chambre et j’ai fermé la fenêtre, et ensuite, j’ai deviné que j’avais eu une crise. J’ai réveillé Ania et je le lui ai dit, elle a beaucoup pleuré en voyant mon visage. J’ai tâché de la calmer et soudain une seconde crise a eu lieu, à l’état de veille, dans la chambre, chez Ania (Liouba avait été sortie) — un quart d’heure après la première crise. Quand j’ai repris connaissance, ma tête me faisait atrocement mal, je n’ai pas pu parler normalement pendant longtemps ; Ania a passé la nuit avec moi. (Peur mystique au plus haut degré.) Quatre jours après la crise, ma tête n’est toujours pas fraîche ; mes nerfs sont probablement troublés ; il semble que la congestion a été très forte. Inutile de penser au travail ; la nuit, une forte hypocondrie. Je m’endors tard, vers 6 heures du matin ; je me couche à quatre heures du matin, avant ce n’est pas possible. Toute la semaine dernière, il a fait très froid, environ moins dix. Aujourd’hui, c’est la pleine lune. Pendant la crise, plus d’une moitié de lune s’est découpée dans le ciel. »[i]
« 16/28 juin (1870)
Le temps est changeant, il pleut et il fait relativement froid. On ne m’envoie pas d’argent, et je ne sais même pas quand j’en recevrai. J’ai terminé le cinquième chapitre de mon roman. La nuit (deux nuits de suite), je ne peux presque pas travailler : congestion, hébétement, somnolence. J’ai peur des mauvaises conséquences d’une nuit de travail (une attaque du même genre ?).
La nuit, j’ai vu en rêve mon frère, il est comme ressuscité, mais il vit à part de la famille. C’est comme si j’étais chez lui, et je sens comme quelque chose qui cloche chez moi : perte de conscience, comme après des évanouissements. Je suis allé dans un hôpital pas loin consulter un docteur. C’est comme si mon frère avait été caressant avec moi.
Je me suis réveillé, je me suis rendormi et c’est comme le prolongement de mon rêve : je vois mon père (je n’avais pas rêvé de lui depuis longtemps). Il m’a indiqué ma poitrine, sous le mamelon droit, et il m’a dit : tout va bien chez toi, mais ici, c’est très mauvais. J’ai regardé, et c’est comme s’il y avait vraiment une excroissance sous le mamelon. Mon père a dit : les nerfs ne sont pas troublés. Ensuite, chez mon père, il y une sorte de fête familiale, et sa vieille mère est entrée, ma grand-mère, et tous les ancêtres. Il était content. J’ai conclu de ses mots que je n’allais pas bien du tout. J’ai montré ma poitrine à un autre médecin, il a dit : oui, c’est ici. Vous n’avez plus longtemps à vivre ; vous êtes dans vos derniers jours.
NB. En me réveillant le matin, à midi, j’ai remarqué, presque au même endroit indiqué par mon père, un point, de la taille d’une noix, où je ressens une douleur aiguë extrême si on le touche du doigt, exactement comme si on touchait jusqu’à faire mal une contusion ; ça n’était jamais arrivé auparavant.
NB. Mes poumons se remplissent à nouveau de mucosités ; ils sifflent et j’ai dû mal à respirer. Cette maladie s’aggrave depuis un an et demi. J’ai maintenant de l’asthme.
NB. Je dois avoir, j’ai, en ce moment, une crise d’hémorroïdes. Douleur dans le ventre comme avant une hémorragie. La digestion se passe bien. »[ii]
« 28 janvier crise (assez forte)
Crises. Après une pause de 5 mois et demi en 1873 (l’année de la rédaction)
- 20 avril
- 4 juin
- 1 août
- 3 novembre
- 27 décembre
- 28 décembre
- 16 avril (une des plus fortes, mal de tête et jambes rompues).
(NB. Samedi 20 avril, ça commence à peine à s’éclaircir dans ma tête et mon âme ; c’était très sombre ; je suis probablement abîmé, 3 jours, le 19 a été le plus difficile de tous. Aujourd’hui, le 20 avril, à dix heures du matin, bien que ce soit encore dur, c’est comme si ça commençait à s’apaiser.)
13 mai (assez forte).
27 juin (assez forte).
9 juillet (vendredi 29 juin. La tête et l’âme très lourdes, et les jambes encore très rompues)
15/27 juillet (assez faible). Pleine lune. Temps très changeant, environ 5 jours, soleil, vent, pluie, accalmie — tout en un seul jour.
8 octobre (la nuit, forte. A 5 heures du matin).
Jours secs et clairs.
18 octobre crise à cinq heures du matin, assez forte, mais plus faible que la précédente.
Jours clairs.
28 décembre, le matin, à 8 heures, dans mon lit, crise des plus fortes. Plus que tout, c’est la tête qui a souffert. Le sang affluait en pressant excessivement au niveau de mon front et j’ai une douleur qui résonne dans le haut de mon crâne. Confus, triste, tourments et fantastique. J’étais très irrité. Jour clair. Moins 1,5 degré.
Au total, en 1874, depuis le 28 janvier, 8 crises.
Depuis le 28 décembre encore deux crises, une le 4 janvier (1875) et l’autre le 11 janvier.
8 avril (1875). Crise à une heure et demie du matin. Je la pressentais fortement depuis le soir, et même hier. Je venais de finir de faire mes cigarettes et je voulais m’asseoir pour écrire ne serait-ce que 2 pages du roman, et comme je m’en souviens, je suis tombé en marchant au milieu de la chambre. Je suis resté allongé 40 minutes. Je suis revenu à moi en m’asseyant avec mes cigarettes, mais je ne les faisais pas. Je ne me souviens pas comment la plume s’est trouvée dans mes mains, mais avec la plume j’avais déchiré le porte-cigarettes. J’aurais pu me poignarder. De l’humidité toute la semaine, seulement aujourd’hui (la nuit), la pleine lune et, semble-t-il, un peu de gel. 8 avril pleine lune.
NB. Une heure après la crise, la soif. J’ai bu trois verres d’eau d’un trait. La tête ne fait pas très mal. Ça fait maintenant une heure que la crise a eu lieu. J’écris cela en me perdant encore dans le choix des mots. La peur de la mort commence à partir, mais il y en a une extraordinaire, à tel point que je n’ose pas m’allonger. Les flancs me font mal, ainsi que les jambes. 40 minutes après, je suis allé réveiller Ania et j’ai appris avec étonnement de Loukeria que la maîtresse était partie. Une demi-heure avant la crise, j’avais pris de l’opii benzoedi : 40 gouttes avec de l’eau.
Tout le temps de la syncope, c’est-à-dire en m’étant déjà relevé, j’étais assis et je bourrais mes cigarettes, et j’en ai bourré 4 en tout, mais négligemment, et pendant les deux dernières cigarettes j’ai ressenti une forte douleur à la tête, mais pendant longtemps je n’ai pas pu comprendre ce qui m’arrivait, jusqu’à ce que j’aille voir Loukeria. De légères hémorroïdes, serrées, début de paquets hémorroïdaires. »[iii]
« Compte des crises en 1873
20 avril
4 juin
1 août
3 et 19 novembre
27 décembre
1874
28 janvier
16 avril
13 mai
27 juin
15 juillet
8 octobre
18 octobre
28 octobre
1875
4 janvier
19 janvier
8 avril
4 juillet
Crises 1875, 29 septembre, fait partie des fortes (mais pas des plus fortes), la nuit, au petit matin, à 6 heures, après 3 mois de pause. Pleine lune, Malaise. Un peu de sang hémorroïdaire. Très forts afflux de sang dans la tête. Irritation.
Octobre 13. Le matin pendant le sommeil à 7 heures, pas si forte.
1876. 26 janvier. Lundi matin, pendant le sommeil, à 7 heures, assez forte. 1er quart de lune.
30 avril, vendredi matin, pendant le sommeil, à 7 heures, fait partie des assez fortes. Afflux de sang dans la tête. Tristesse et hypocondrie. Dernière phase de la lune. Avant cela, je me suis beaucoup détraqué les nerfs avec un long travail et beaucoup d’autres choses.
7 mai, à 9 heures du matin, assez forte, mais plus faible que la précédente. Je n’ai pas repris conscience pendant très longtemps. Peu de taches sont apparues. Tête pas autant frappée que le dos et les jambes. Deux jours avant j’avais quelque chose.
14 mai. Le matin dans mon sommeil, à 7 heures. Assez forte. Peu de sang a afflué, les jambes en partie et les reins font plus mal. La tête aussi. 1 ½ jour avant j’avais quelque chose. Grande irritation.
6 juin, fait partie des moyennes, le matin, dans mon sommeil, mal aux reins.
13 juin. Le matin, à 9 heures, dans mon sommeil, moyenne, mal à la tête. La veille, hémorroïdes. NB. Accélération sans précédent des crises.
10 août, le matin, à l’hôtel Znamenskaya, après la route en arrivant d’Ems, moyenne.
19 août, le matin, fait partie des moyennes, m’a fortement brisé les membres.
10 octobre, le matin, à 10 heures, dans mon sommeil, assez forte. Nervosité. Jour clair et gel. 1er jour froid.
15 novembre, à 10 heures. Le matin, dans mon sommeil. Jour clair et gel. Etat de grande fatigue. Intellect très entravé. Assez forte.
1er février, durant mon sommeil, à 10 heures du matin. Jour clair, et le gel a commencé. Etat de grande fatigue. Fantastique, flou, impressions irrégulières, jambes et bras rompus. Assez forte. La nuit même j’avais quelque chose.
19 février crise assez considérable.
26 février crise assez considérable.
17 mars crise considérable. Fort changement de temps. Début du déclin de la lune. »[iv]
« Crise des années 79-80.
10 octobre 78.
28 avril 79.
13 septembre 79.
9 février 80.
14 mars 80.
7 septembre 79. Assez forte, le matin, 9 heures moins le quart. Pensées décousues, transmigration dans d’autres années, rêverie, songerie, culpabilité, je me suis démis un petit os dans le dos ou froissé un muscle.
6 novembre 80. Le matin à 7 heures, dans mon premier sommeil, moyenne, mais état douloureux très difficile à supporter et il a duré presque une semaine. Plus ça va, plus l’organisme devient faible pour supporter les crises, et plus leur action est forte.
NB. Depuis le 6 septembre, le dégel a commencé très tôt, il a duré très longtemps, presque deux semaines, après un hiver trop précoce. L’avant-dernière crise du 8 septembre correspondait aussi à un changement brusque du temps, après un long et doux été, à cause du froid et de la pluie. »[v]
[v] Ibid., p.118.