Franz Kafka. Les Aphorismes de Zürau 2/3
Alexandre Ilitchev - Kafka (2002)
41 La disproportion du monde, pour notre consolation, semble n’être que numérique. [i]
42 Baisser sur la poitrine la tête pleine de dégoût et de haine. [ii]
43 Les chiens de chasse jouent encore dans la cour, mais le gibier ne leur échappera pas, peu importe qu’il soit en train de courir dans les bois. [iii]
44 Tu t’es ridiculement harnaché pour ce monde. [iv]
45 Plus tu attelles de chevaux, plus tu vas vite – non pas l’arrachement du bloc à la fondation, ce qui est impossible, mais la rupture des brides et ainsi la joyeuse course à vide. [v]
46 Le mot sein signifie en allemand à la fois existence et lui appartenir. [vi]
47 On leur donna le choix entre être rois ou messagers des rois. Comme des enfants, ils voulurent tous être messagers. C’est pour cela qu’il y a des messagers braillards, ils filent à travers le monde et, puisqu’il n’y a pas de roi, ils s’échangent en criant les nouvelles devenues absurdes. Ils mettraient bien un terme à leurs vies misérables, mais ils n’osent pas à cause du serment professionnel. [vii]
48 Croire au progrès ne veut pas dire croire qu’un progrès s’est déjà produit. Ce ne serait pas une croyance. [viii]
49 A. est un virtuose et le Ciel est son témoin. [ix]
50 L’homme ne peut vivre sans une confiance durable en quelque chose d’indestructible en lui, en quoi tant l’indestructible que la confiance peuvent rester durablement cachés. Une des possibilités d’expression de ce rester-caché est la foi en un Dieu personnel. [x]
51 Il fallut la médiation du serpent : le Mal peut séduire l’homme, mais pas devenir homme. [xi]
52 Dans le combat entre toi et le monde, seconde le monde. [xii]
53 On ne doit escroquer personne, même pas au monde sa victoire. [xiii]
54 Il n’y a rien d’autre qu’un monde spirituel – ce que nous appelons le monde sensible est le Mal dans le monde spirituel, et ce que nous appelons mauvais n’est qu’une nécessité d’un instant de notre évolution éternelle.
Avec la lumière la plus forte, on peut décomposer le monde. Devant des yeux faibles, il devient ferme ; devant des yeux plus faibles, il a des poings ; devant des yeux encore plus faibles, il devient pudique et fracasse celui qui ose le regarder. [xiv]
55 Tout est duperie : chercher le minimum de tromperie, rester dans l’ordinaire, chercher le maximum. Dans le premier cas, on dupe le Bien en voulant l’acquérir avec trop de facilité, et le Mal en lui dictant des conditions de combat trop défavorables. Dans le second cas, on dupe le Bien en n’aspirant pas une seule fois à lui dans cette vie terrestre. Dans le troisième cas, on dupe le Bien en s’éloignant de lui le plus possible, le Mal en espérant le rendre impuissant par sa maximalisation. Le second cas serait donc préférable, car on dupe toujours le Bien, et, dans ce cas, du moins selon les apparences, on ne dupe pas le Mal. [xv]
56 Il y a des questions que nous ne pourrions pas surmonter si nous n’en étions pas par nature dispensés. [xvi]
57 Le langage ne peut être utilisé que d’une manière allusive pour tout ce qui se trouve au-delà du monde sensible, mais jamais de manière tant soit peu comparative, puisque, conformément au monde sensible, il ne traite que de la propriété et de ses relations. [xvii]
58 On ne ment le moins possible que lorsqu’on ment le moins possible, pas lorsqu’on a le moins possible l’opportunité de le faire. [xviii]
59 Une marche d’escalier qui n’a pas été creusée profondément par les pas n’est, de son propre point de vue, qu’un stérile assemblage de bois. [xix]
60 Qui renonce au monde doit aimer tous les hommes, car il renonce aussi à leur monde. Il commence alors à pressentir la véritable essence de l’homme, qui ne peut être qu’aimée, à condition qu’on soit à son niveau. [xx]
61 Celui qui aime son prochain dans le monde ne commet une injustice ni plus grande ni plus petite que celui qui s’aime lui-même dans le monde. Il reste juste la question de savoir si le premier cas est possible. [xxi]
62 Le fait qu’il n’y ait rien d’autre qu’un monde spirituel nous ôte l’espoir et nous donne la certitude. [xxii]
63 Notre art est un être-aveuglé par la vérité : la lumière sur le visage grotesque qui recule est vraie, et rien d’autre.[xxiii]
64/65 L’expulsion du paradis est éternelle dans sa partie principale : elle est donc définitive, la vie dans le monde, inévitable ; l’éternité du processus (ou exprimé en termes temporels : la répétition éternelle du processus) rend tout de même possible non pas seulement le fait que nous pourrions rester durablement au paradis, mais qu’en réalité nous y sommes durablement, que nous le sachions ou non. [xxiv]
66 C’est un citoyen du monde, libre et en sécurité, car il est fixé à une chaîne qui est suffisamment longue pour le laisser atteindre tout espace terrestre, et néanmoins juste assez longue pour que rien ne puisse l’arracher au-delà des limites de la terre. Mais en même temps il est aussi un citoyen libre et en sécurité du ciel, car il est aussi fixé à une chaîne céleste aux caractéristiques similaires. Prétend-il aller sur terre, le collier du ciel l’étrangle, prétend-il aller au ciel, c’est celui de la terre. Et cependant il a toutes les possibilités et il le sent ; oui, il refuse même d’attribuer tout cela à une erreur dans le premier enchaînement. [xxv]
67 Il poursuit les faits comme un débutant en patinage qui, de surcroît, s’exerce là où c’est interdit. [xxvi]
68 Qu’y a-t-il de plus joyeux que la foi en un Dieu du logis ! [xxvii]
69 Théoriquement, il existe une possibilité parfaite de bonheur : croire en l’indestructible en soi et ne pas y aspirer. [xxviii]
70/71 L’indestructible est unique ; chaque homme l’est et c’est en même temps une chose commune à tous, de là le lien indissoluble, sans commune mesure, des hommes. [xxix]
72 Il y a dans la même personne des connaissances qui, bien qu’absolument différentes, ont le même objet, de sorte qu’il doit seulement être déduit de nouveau en différents sujets de la même personne. [xxx]
73 Il dévore les restes de sa propre table ; ainsi il sera pendant un petit moment plus rassasié que tous, mais il a oublié comment on mange sur une table ; ainsi, il cesse également d’y avoir des restes. [xxxi]
74 Si ce qui aurait dû être détruit au paradis était destructible, alors ce n’était pas décisif ; mais si c’était indestructible, alors nous vivons dans une fausse foi. [xxxii]
75 Teste-toi en relation avec l’humanité. Elle fait douter ceux qui doutent, croire ceux qui croient. [xxxiii]
76 Ce sentiment : « je ne vais pas jeter l’ancre ici » – et immédiatement sentir autour de soi la marée montante et agitée !
Un revirement. La réponse, à l'affût, craintive, entoure furtivement la question, cherche désespérément dans son visage inaccessible, la suit dans l’absurde, c’est-à-dire sur les chemins s’éloignant le plus possible de la réponse. [xxxiv]
77 La fréquentation des gens incite à l’introspection. [xxxv]
78 L’esprit ne sera libre que s’il cesse d’être un appui. [xxxvi]
79 L’amour sensuel masque l’amour céleste ; il ne pourrait pas le faire tout seul, mais comme il a inconsciemment en lui l’élément céleste, il peut le faire. [xxxvii]
80 La vérité est indivisible, elle ne peut donc se connaître elle-même ; qui veut la connaître doit être mensonge. [xxxviii]
[i] Das Mißverhältnis der Welt scheint tröstlicherweise nur ein zahlenmäßiges zu sein.
[ii] Den ekel- und haßerfüllten Kopf auf die Brust senken.
[iii] Noch spielen die Jagdhunde im Hof, aber das Wild entgeht ihnen nicht, so sehr es jetzt schon durch die Wälder jagt.
[iv] Lächerlich hast du dich aufgeschirrt für diese Welt.
[v] Je mehr Pferde du anspannst, desto rascher gehts – nämlich nicht das Ausreißen des Blocks aus dem Fundament, was unmöglich ist, aber das Zerreißen der Riemen und damit die leere fröhliche Fahrt.
[vi] Das Wort »sein« bedeutet im Deutschen beides: Dasein und Ihmgehören.
[vii] Es wurde ihnen die Wahl gestellt, Könige oder der Könige Kuriere zu werden. Nach Art der Kinder wollten alle Kuriere sein. Deshalb gibt es lauter Kuriere, sie jagen durch die Welt und rufen, da es keine Könige gibt, einander selbst die sinnlos gewordenen Meldungen zu. Gerne würden sie ihrem elenden Leben ein Ende machen, aber sie wagen es nicht wegen des Diensteides.
[viii] An Fortschritt glauben heißt nicht glauben, daß ein Fortschritt schon geschehen ist. Das wäre kein Glauben.
[ix] A. ist ein Virtuose und der Himmel ist sein Zeuge.
[x] Der Mensch kann nicht leben ohne ein dauerndes Vertrauen zu etwas Unzerstörbarem in sich, wobei sowohl das Unzerstörbare als auch das Vertrauen ihm dauernd verborgen bleiben können. Eine der Ausdrucksmöglichkeiten dieses Verborgenbleibens ist der Glaube an einen persönlichen Gott.
[xi] Es bedurfte der Vermittlung der Schlange: das Böse kann den Menschen verführen, aber nicht Mensch werden.
[xii] Im Kampf zwischen dir und der Welt sekundiere der Welt.
[xiii] Man darf niemanden betrügen, auch nicht die Welt um ihren Sieg.
[xiv] Es gibt nichts anderes als eine geistige Welt – was wir sinnliche Welt nennen, ist das Böse in der geistigen, und was wir böse nennen, ist nur eine Notwendigkeit eines Augenblicks unserer ewigen Entwicklung.
Mit stärkstem Licht kann man die Welt auflösen. Vor schwachen Augen wird sie fest, vor noch schwächeren bekommt sie Fäuste, vor noch schwächeren wird sie schamhaft und zerschmettert den, der sie anzuschauen wagt.
[xv] Alles ist Betrug: das Mindestmaß der Täuschungen suchen, im üblichen bleiben, das Höchstmaß suchen. Im ersten Fall betrügt man das Gute, indem man sich dessen Erwerbung zu leicht machen will, das Böse, indem man ihm allzu ungünstige Kampfbedingungen setzt. Im zweiten Fall betrügt man das Gute, indem man also nicht einmal im Irdischen nach ihm strebt. Im dritten Fall betrügt man das Gute, indem man sich möglichst weit von ihm entfernt, das Böse, indem man hofft, durch seine Höchststeigerung es machtlos zu machen. Vorzuziehen wäre also hiernach der zweite Fall, denn das Gute betrügt man immer, das Böse in diesem Fall, wenigstens dem Anschein nach, nicht.
[xvi] Es gibt Fragen, über die wir nicht hinwegkommen könnten, wenn wir nicht von Natur aus von ihnen befreit wären.
[xvii] Die Sprache kann für alles außerhalb der sinnlichen Welt nur andeutungsweise, aber niemals auch nur annähernd vergleichsweise gebraucht werden, da sie, entsprechend der sinnlichen Welt, nur vom Besitz und seinen Beziehungen handelt.
[xviii] Man lügt möglichst wenig, nur wenn man möglichst wenig lügt, nicht wenn man möglichst wenig Gelegenheit dazu hat.
[xix] Eine durch Schritte nicht tief ausgehöhlte Treppenstufe ist, von sich selber aus gesehen, nur etwas öde zusammengefügtes Hölzernes.
[xx] Wer der Welt entsagt, muß alle Menschen lieben, denn er entsagt auch ihrer Welt. Er beginnt daher, das wahre menschliche Wesen zu ahnen, das nicht anders als geliebt werden kann, vorausgesetzt, daß man ihm ebenbürtig ist.
[xxi] Wer innerhalb der Welt seinen Nächsten liebt, tut nicht mehr und nicht weniger Unrecht, als wer innerhalb der Welt sich selbst liebt. Es bliebe nur die Frage, ob das erstere möglich ist.
[xxii] Die Tatsache, daß es nichts anderes gibt als eine geistige Welt, nimmt uns die Hoffnung und gibt uns die Gewißheit.
[xxiii] Unsere Kunst ist ein von der Wahrheit Geblendet-Sein: Das Licht auf dem zurückweichenden Fratzengesicht ist wahr, sonst nichts.
[xxiv] Die Vertreibung aus dem Paradies ist in ihrem Hauptteil ewig: Es ist also zwar die Vertreibung aus dem Paradies endgültig, das Leben in der Welt unausweichlich, die Ewigkeit des Vorganges aber (oder zeitlich ausgedrückt: die ewige Wiederholung des Vorgangs) macht es trotzdem möglich, daß wir nicht nur dauernd im Paradiese bleiben könnten, sondern tatsächlich dort dauernd sind, gleichgültig ob wir es hier wissen oder nicht.
[xxv] Er ist ein freier und gesicherter Bürger der Erde, denn er ist an eine Kette gelegt, die lang genug ist, um ihm alle irdischen Räume frei zu geben, und doch nur so lang, daß nichts ihn über die Grenzen der Erde reißen kann. Gleichzeitig aber ist er auch ein freier und gesicherter Bürger des Himmels, denn er ist auch an eine ähnlich berechnete Himmelskette gelegt. Will er nun auf die Erde, drosselt ihn das Halsband des Himmels, will er in den Himmel, jenes der Erde. Und trotzdem hat er alle Möglichkeiten und fühlt es; ja, er weigert sich sogar, das Ganze auf einen Fehler bei der ersten Fesselung zurückzuführen.
[xxvi] Er läuft den Tatsachen nach wie ein Anfänger im Schlittschuhlaufen, der überdies irgendwo übt, wo es verboten ist.
[xxvii] Was ist fröhlicher als der Glaube an einen Hausgott!
[xxviii] Theoretisch gibt es eine vollkommene Glücksmöglichkeit: An das Unzerstörbare in sich glauben und nicht zu ihm streben.
[xxix] Das Unzerstörbare ist eines; jeder einzelne Mensch ist es und gleichzeitig ist es allen gemeinsam, daher die beispiellos untrennbare Verbindung der Menschen.
[xxx] Es gibt im gleichen Menschen Erkenntnisse, die bei völliger Verschiedenheit doch das gleiche Objekt haben, so daß wieder nur auf verschiedene Subjekte im gleichen Menschen rückgeschlossen werden muß.
[xxxi] Er frißt den Abfall vom eigenen Tisch; dadurch wird er zwar ein Weilchen lang satter als alle, verlernt aber, oben vom Tisch zu essen; dadurch hört dann aber auch der Abfall auf.
[xxxii] Wenn das, was im Paradies zerstört worden sein soll, zerstörbar war, dann war es nicht entscheidend; war es aber unzerstörbar, dann leben wir in einem falschen Glauben.
[xxxiii] Prüfe dich an der Menschheit. Den Zweifelnden macht sie zweifeln, den Glaubenden glauben.
[xxxiv] Dieses Gefühl: »hier ankere ich nicht« – und gleich die wogende, tragende Flut um sich fühlen!
Ein Umschwung. Lauernd, ängstlich, hoffend umschleicht die Antwort die Frage, sucht verzweifelt in ihrem unzugänglichen Gesicht, folgt ihr auf den sinnlosesten, das heißt von der Antwort möglichst wegstrebenden Wegen.
[xxxv] Verkehr mit Menschen verführt zur Selbstbeobachtung.
[xxxvi] Der Geist wird erst frei, wenn er aufhört, Halt zu sein.
[xxxvii] Die sinnliche Liebe täuscht über die himmlische hinweg; allein könnte sie es nicht, aber da sie das Element der himmlischen Liebe unbewußt in sich hat, kann sie es.
[xxxviii] Wahrheit ist unteilbar, kann sich also selbst nicht erkennen; wer sie erkennen will, muß Lüge sein.