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Luis Goytisolo. Récit biblique et récit évangélique

 

Extrait de son dernier essai : Naturaleza de la novela (2013)

luis goytisolo


 

Ainsi, la lente formation du roman en tant que genre coïncide avec cette transition non moins lente du Moyen-Âge à la Renaissance, du passage d’une réalité culturelle pratiquement identique à elle-même au cours des siècles à une autre ouverte à une infinité de nouvelles perspectives. Dans cette transition, il est facile de percevoir comment depuis le début on peut établir dans les grandes lignes deux types bien différenciés de récit, selon que l’inspiration de l’auteur – sous forme inconsciente, bien sûr – se trouve plus proche des modes d’approche conceptuels et narratifs de l’Ancien Testament – le Pentateuque – ou du Nouveau, les Évangiles. Il va de soi que les deux modalités peuvent se présenter aussi bien à l’état pur que plus ou moins entremêlées, même si l’une d’entre elles prédomine généralement.

Le récit appartenant à la première modalité, que nous appellerons biblique, se caractérise par sa tendance à nous renvoyer à un niveau supérieur qui, à la manière d’une fresque illustrative déployée dans les hauteurs, s’abat sur les personnages sous forme de code de conduite irrévocable. Ce qui s’expose, c’est la validité d’un événement mythique ou d’une réalité présente inamovible, situations devant lesquelles tout ce que peut faire l’individu pour échapper à son influence aura une valeur purement symbolique. La figure protagoniste s’en va ainsi soumise à un passé encore en vigueur ou à un présent qui, du fait de son implantation et de sa fermeté, se révèle tout aussi immuable.

Le récit appartenant à l’autre modalité, que nous appellerons évangélique, est plutôt centré sur la mission ou la tâche qu’entreprend le protagoniste, une épreuve aussi dure qu’inéluctable s’il veut atteindre l’objectif fixé ; un futur qu’il faut mériter, un chemin difficile dont le simple parcours suppose déjà en lui-même la rédemption et, d’une certaine manière, le dénouement.

C’est-à-dire, en termes plus descriptifs que véritablement conceptuels, tandis que dans le roman évangélique le moi affronte le monde animé par un objectif ardu, dans le biblique ce monde se présente comme une force supérieure, irrémédiable, et pèse comme tel sur l’activité du moi.

En outre, la distinction entre ces deux modalités ne se limite pas à une question de contenu, puisqu’elle affecte aussi le style et, surtout, le ton, qui nous rend plus familier ou plus proche ce qui est narré, pour étranger qu’il soit à notre manière d’être et à notre vie quotidienne, dans le cas des romans évangéliques ; et plus éloigné et intimidant dans les bibliques, y compris quand il se réfère à une réalité parfaitement vraisemblable.

De la même manière, le temps du récit diffère d’un cas à l’autre : pour les bibliques, un passé qui continue à être présent, un engrenage inexorable aussi bien dans son avancée que sa fixation ; pour les évangéliques, dans son orientation vers le futur, un cours susceptible d’être récupéré, de se dédoubler, ou de s’accroître dans son devenir, de se concentrer en un instant, de faciliter la transformation de la réalité environnante en une nouvelle réalité.


Original : ici

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