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Lettre de Claude Simon à Jean Dubuffet, 21 août 1982

claude simon

Claude Simon à Jean Dubuffet

Salses, le 21 août 1982

Cher Jean Dubuffet,

Pardonnez-moi, je vous prie, mon retard à vous répondre, mais j’ai perdu mon temps ces derniers jours à me chamailler avec les services « culturels » et consulaires américains. J’étais invité cet automne à un colloque sur le roman à New York, mais sous prétexte que j’ai été membre du Parti Communiste en 1936/37 (cela fait maintenant 45 ans !) on exigeait, pour me donner le visa d’entrée aux Etats-Unis, que je fournisse par écrit mon curriculum-vitae détaillé depuis l’âge de 16 ans ! Il fallait, en plus, que j’indique avec précision le lieu, le jour, l’heure de mon arrivée, le nom de la compagnie aérienne, le numéro du vol. On croit rêver ! A la fin, je les ai envoyés promener.

Je crois (pardonnez-moi) que s’attacher aux mondanités de Proust n’est pas la bonne façon de le lire. Au surplus, si vous y regardez bien, il ne manifeste aucune déférence, bien au contraire. On a rarement été aussi féroce à l’égard de ces gens dont il se complait à souligner l’extrême sottise et l’extrême vulgarité. Il ne fait grâce et n’a quelque tendresse que pour les « marginaux » (Swann, Odette de Crécy – à la rigueur le Prince de Guermantes…). Au surplus encore, les stratégies du Faubourg Saint-Germain (préséances, humiliations, manœuvres, etc.) me paraissent, questions de formes mises à part, les mêmes que dans tous les milieux sociaux. J’en observe d’identiques chez les paysans qui m’entourent. Ce n’est donc pas là que réside pour moi son génie, mais dans l’usage qu’il fait de la description et les structures toutes nouvelles qu’il introduit dans la littérature. En ce sens, je vois en lui l’écrivain le plus subversif (dans tous les sens du terme) du XXe siècle.

Merci encore de ce que vous me dites des Géorgiques. Comme toujours vous voyez juste : c’est tellement une mine que le titre provisoire (et peut-être définitif) du bouquin auquel je travaille est Complément d’information.

Je suis ému par la dernière phrase de votre lettre : « … Paris vacant, le vide absolu – alarmant ». Oui. C’est une sensation que j’ai souvent ressentie. D’un autre côté, le grouillement grégaire des estivants qui envahissent au mois d’août le coin de France où je suis n’est pas moins alarmant… sinon terrifiant. Que faire ?...

Amicalement à vous.

Claude Simon

 

 

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