Joseph Brodsky. Je suis entré dans la cage à la place du fauve
Niko Tarka - Face
Je suis entré dans la cage à la place du fauve,
d’un clou brûlant j’ai gravé mon temps et mon surnom dans une baraque,
j’ai vécu à la mer, joué à la roulette,
déjeuné avec le diable sait qui en frac.
Du haut d’un glacier, j’ai observé la moitié du monde,
trois fois je me suis noyé, deux fois on m’a écharpé.
J’ai quitté le pays qui m’a nourri.
On formerait une ville de ceux qui m’ont oublié.
J’ai erré dans les steppes évoquant les cris des Huns,
porté des habits redevenus à la mode,
semé du seigle, couvert des granges de tôle noire,
j’ai bu de tout sauf de l’eau sèche.
J’ai laissé entrer dans mes rêves la pupille oxydée du convoi,
mangé le pain de l’exil sans en laisser la croûte.
J’ai permis à mes cordes vocales tous les sons en plus du hurlement ;
je suis passé au murmure. J’ai maintenant quarante ans.
Que puis-je dire de la vie ? Qu’elle s’est avérée longue.
Je ressens de la solidarité uniquement pour le chagrin.
Mais tant qu’on ne m’aura pas enfoncé de l’argile dans la bouche,
seule la gratitude en retentira.
24 mai 1980
Original : Я входил вместо дикого зверя в клетку.pdf