Michel Butor. Stèle pour Claude Simon
Stèle pour Claude Simon
par Michel Butor
pour Rhéa
Une enfance dans les vignes
auprès d’une forteresse
de l’autre côté des monts
le vacarme de la guerre
on veut y participer
ce n’est que pour assister
à l’écrasement du droit
Mais c’est loin d’être fini
reprend la guerre la guerre
ici et là un brandon
qui rallume en incendie
les souvenirs d’autres guerres
celles du début du siècle
celles des siècles passés
Les vieilles femmes en parlent
tandis que les rescapés
s’efforcent d’exorciser
les images effroyables
qui reviennent les hanter
cherchent à cicatriser
les débâcles successives
Si la prochaine s’annonce
que faire pour l’éviter
sinon raconter encore
le plus calmement possible
en prenant de la distance
dans l’effilochement cru
du temps qui ne passe pas
Donc éditions promotions
interviews de journalistes
cela n’a pas d’importance
les prix tombent comme ils peuvent
on n’aura rien fait pour ça
on fera bonne figure
ou du moins on essaiera
Mais on est bien loin du compte
et le saignement des phrases
se coagule en romans
pour élever taciturne
les livres s’accumulant
une stèle solitaire
sur l’étendue des gravats