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17/08/2013

Ingmar Bergman. Genèse du Septième Sceau

Bergman, Albertus Pictor, échecs, mort
Albertus Pictor, La mort jouant aux échecs. Église de Täby, Diocèse de Stockholm


 

Enfant, il m’arrivait parfois de suivre mon père dans ses déplacements où il devait prêcher dans les petites églises rurales des environs de Stockholm. C’étaient pour moi des voyages pleins de fêtes, entrepris à bicyclette à travers un paysage printanier. Mon père m’apprenait le nom des fleurs, des arbres et des oiseaux. Nous passions la journée en compagnie l’un de l’autre sans l’intervention importune de la vie trépidante.

Pour un petit garçon comme moi, le prêche était une affaire pour grandes personnes. Pendant que mon père parlait en chaire, et que les fidèles priaient, chantaient ou écoutaient, je concentrais mon attention sur le monde secret de l’église, fait de voûtes basses, de murs épais, de parfum d’éternité, de lumière solaire colorée qui tremblait sur l’étrange végétation des peintures moyenâgeuses et des figures sculptées sur le plafond et sur les murs.

Il y avait là tout ce que la fantaisie pouvait désirer, anges, saints, dragons, prophètes, démons, enfants. Il y avait des animaux extrêmement effrayants : les serpents du paradis, l’âne de Balaam, la baleine de Jonas, l’aigle de l’Apocalypse.

Tout cela se trouvait entouré d’un paysage céleste, terrestre et souterrain d’une beauté étrange et pourtant bien connue.

Dans un bois, la Mort était assise et jouait aux échecs avec le Chevalier.

Une créature aux yeux écarquillés se cramponnait à un arbre pendant qu’en bas la Mort se mettait à scier l’arbre de tout son cœur…

Par-dessus les collines en pentes douces, la Mort menait la danse finale vers le pays des ténèbres.

Mais sur l’autre voûte, la Sainte Vierge marchait dans un jardin de roses en tenant par la main l’enfant, et ses doigts étaient ceux d’une paysanne et son visage était grave et autour de la tête virevoltaient les ailes des oiseaux.

Les peintres du Moyen Âge avaient rendu cela avec une grande sensibilité, une grande habileté artistique et une grande joie. Cela me frappa l’esprit d’une manière immédiate et attractive, et ce monde me devint aussi réel que le monde de tous les jours, avec père, mère, et mes frère et sœur. Par contre, je me débattais contre le drame sombre que je pressentais et qui se jouait sur le tableau de la Crucifixion placé dans le chœur. Mon esprit demeurait interdit devant cette cruauté extrême et cette extrême souffrance. Ce n’est que bien plus tard que la croyance et le doute se firent mes compagnes fidèles.

Il m’a paru évident et fructueux de représenter mes souvenirs de l’enfance, et ce fut comme si je me sentais contraint d’exprimer le dilemme actuel. Mon but a été de peindre comme le peintre du Moyen Âge, avec le même engagement objectif, avec la même sensibilité et la même joie. Mes personnages rient, pleurent, hurlent, ont peur, parlent, répondent, jouent, souffrent, questionnent. Leur terreur est la peste. Le Jour Suprême, l’étoile dont le nom est Absinthe.

Notre effroi est d’un autre genre, mais les mots demeurent les mêmes.

Notre question subsiste…

 

Ingmar Bergman, Arts, n° 667, 1958.

Écrit par Fabien Rothey dans Bergman, Cinéma | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : ingmar bergman | |  Facebook | |  Imprimer | Pin it! | | |

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