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Andreï Tarkovski sur Robert Bresson

Tarkovski, Bresson, Mouchette

 

Jurriën Rood : Comment avez-vous fait connaissance avec l’œuvre de Bresson ?

Andreï Tarkovski : En 1957 et en 1958, et après mes études cinématographiques, j’ai passé beaucoup de temps dans la cinémathèque de Moscou appelée « Bielye Stolby », les Colonnes Blanches. C’est là que j’ai étudié l’œuvre de Mizoguchi, Bergman et Bresson, c’est là, en fait, que j’ai appris à la connaître. Nous étudions des films occidentaux à l’Institut, mais les films qui m’intéressaient, c’étaient d’autres films que je cherchais moi-même dans les archives.

Le premier film de Bresson que j’ai vu c’est Procès de Jeanne d’Arc. Ce film m’a extrêmement touché et j’ai compris que Bresson était le seul metteur en scène à savoir me captiver et surprendre.

J’ai été particulièrement touché par l’indépendance absolue du spectateur par rapport à ce film.

Une indépendance totale dans le sens où ce film n’apparaissait pas comme un spectacle, mais comme la nature, la vie même.

Si on veut regarder, on regarde, si on ne veut pas, on ne regarde pas. Si on veut le voir comme de l’art on peut, sinon pas. Une telle indépendance de l’œuvre de quelqu’un vis-à-vis de l’opinion des spectateurs et des critiques est demeurée pour moi le symbole de l’attitude exemplaire d’un metteur en scène envers son public.

 

J.R. : Quelle est pour vous l’importance de Bresson ?

Andreï Tarkovski : Pour de nombreuses raisons, je considère Bresson comme un phénomène unique dans le monde de la cinématographie. En effet, Bresson est l’un des artistes à avoir démontré que la cinématographie est une discipline artistique au même titre que les autres disciplines artistiques classiques telles la poésie, la littérature, la peinture et la musique.

La deuxième raison pour laquelle j’admire Bresson est personnelle. C’est la signification que l’œuvre de Bresson a pour moi – la vision du monde qu’elle exprime. Cette vision du monde est exprimée d’une façon ascétique, je dirais presque laconique, lapidaire. Ce qui a réussi à très peu d’artistes. Chaque artiste sérieux tend à la simplicité, et cela ne réussit qu’à très peu d’entre eux. Bresson est l’un de ceux qui ont réussi.

La troisième raison consiste en l’inépuisabilité de la forme artistique de Bresson. C’est-à-dire que l’on est obligé de considérer sa forme artistique comme la vie, la nature même. En ce sens, il se trouve très proche de la conception artistique orientale du Zen. C’est-à-dire, être profond dans des marges étroites. En travaillant avec de telles formes, Bresson essaie dans ses films de ne pas être symbolique ; il essaie de créer une forme aussi inépuisable que la nature, la vie même. Évidemment cela ne lui réussit pas partout. En fait, il y a des épisodes dans ses films qui sont extrêmement symboliques et, ainsi, limités – symboliques et non pas poétiques. Pour donner un exemple plutôt banal, mais clair : la chasse aux lièvres dans Mouchette.

La façon originale dont Mouchette choisit la mort dans ce film – la tentative de suicide répétée qui ne réussit qu’au troisième essai – ça pour moi c’est parfait, très original, par sa profondeur, l’impossibilité d’interprétation et le caractère unique. C’est-à-dire que ce qui est montré dans le film ne peut pas se raconter.

 

 

(Bresson est pour moi l’idéal de la simplicité, 1983)

 

 

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