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Alexandre Sokourov : le cinéma devient tout simplement une marchandise

 

 

Sokourov, interview, entretien, faust, littérature

photo : Youri Molodkovets

 

Faust n’est pas une adaptation au sens propre du mot. On y trouve de nouveaux personnages, que j’ai inventés pour que l’œuvre soit plus compréhensible. Plus le film est proche du livre, plus le réalisateur fait du tort au livre. Si, ayant vu un film, vous n’allez pas à une bibliothèque, retenez le nom du réalisateur et ne regardez plus jamais ses adaptations.

 

Tout ce qui est important, complet et riche en contenu se trouve seulement sur les pages du livre. La génération élevée dans la culture visuelle n’est pas capable de rester en tête à tête avec elle-même. La consommation et la paresse lui sont naturelles.

 

99 pourcents des cinéastes ne font que gagner de l’argent. Le cinéma devient vraiment de plus en plus une marchandise. Pourtant, comme tout autre art, il doit se fixer le but suivant : conserver les qualités humaines chez les gens.

 

Je voudrais énormément, si j’en ai la force et le temps, tourner une adaptation de La Divine Comédie de Dante. Simplement pour que les gens prennent cette œuvre dans leur main. Mais cest une tâche ambitieuse, peuttre même irréalisable.

 

Quand nous sortons d’un cinéma, nous ne comprenons pas ce que nous avons donné pour cette séance. Est-ce seulement de l’argent : cent, deux cents, trois cents roubles ? Non, nous avons payé avec du temps de notre vie, que l’on ne nous rendra jamais. C’est pourquoi demandez-vous cent fois si vous avez besoin d’aller au cinéma ?

 

Je ne considère pas que j’exprime les intérêts du peuple. Je fais seulement ce que je ne peux pas ne pas faire. Heureusement personne ne m’a forcé à obéir. J’avais de grands problèmes avec le pouvoir soviétique, je faisais l’objet d’une enquête ; s’il n’y avait pas eu la perestroïka, on m’aurait envoyé dans les camps… Je sais même dans lequel : celui qui se trouvait non loin de Syktyvkar. J’étais absolument sûr que Brejnev me survivrait, et je m’étais même fait à cette idée, bien qu’il me fût difficile de comprendre pour quelles raisons on interdisait mes films.

 

Aucun des films que j’ai faits n’est sorti sous le pouvoir soviétique. En plus, ils n’avaient rien de politique. Ayant étudié à la faculté d’histoire, j’avais compris la valeur de ce phénomène [la politique], il ne m’intéressait pas. Plus tard, je me suis rendu compte que l’esthétique et la profondeur artistique d’une œuvre représentaient un grand danger pour l’État, parce que l’art indépendant dit : « je suis ainsi, et je n’ai pas l’intention d’être comme toute cette foule “socialiste” ». Mais l’ennemi principal de l’œuvre n’est pas l’État, c’est le peuple. C’est lui qui montre à l’artiste la porte. C’est de cela qu’ont souffert Chostakovitch, Soljenitsyne et beaucoup d’autres.

 

Dieu a créé l’Homme imparfait. Peut-être était-il pressé… et lui a-t-il glissé à l’oreille en passant : « tu es mortel ». Les chiens, les oiseaux, les insectes ne savent pas qu’ils sont mortels. Personne ne le sait, sauf nous. Et cette connaissance engendre l’art. Ce dernier est nécessaire pour nous réconcilier avec ce fait.

 

 

Publié le 19 mai 2011 dans le journal Métro.

 

Traduction Fabien Rothey

 

Original en russe : Александр Сокуров фауст и кино как товар.pdf

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