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22/08/2014

Chamfort. Choix de maximes et pensées

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Sébastien-Roch Nicolas de Chamfort

 

Les Maximes, les Axiomes sont, ainsi que les Abrégés, l’ouvrage des gens d'esprit qui ont travaillé, ce semble, à l'usage des esprits médiocres ou paresseux. Le paresseux s'accommode d'une maxime qui le dispense de faire lui-même les observations qui ont mené l'auteur de la maxime au résultat dont il fait part à son lecteur. Le paresseux et l'homme médiocre se croient dispensés d'aller au-delà, et donnent à la maxime une généralité que l'auteur, à moins qu'il ne soit lui-même médiocre, ce qui arrive quelquefois, n'a pas prétendu lui donner. L'homme supérieur saisit tout d'un coup les ressemblances, les différences qui font que la maxime est plus ou moins applicable à tel ou tel cas, ou ne l'est pas du tout. Il en est de cela comme de l'histoire naturelle, où le désir de simplifier a imaginé les classes et les divisions. Il a fallu avoir de l'esprit pour les faire. Car il a fallu rapprocher et observer des rapports. Mais le grand naturaliste, l'homme de génie voit que la nature prodigue des êtres individuellement différents, et voit l'insuffisance des divisions et des classes qui sont d'un si grand usage aux esprits médiocres ou paresseux ; on peut les associer : c'est souvent la même chose, c'est souvent la cause et l'effet.

 

En formant la raison de l'enfance, que faites-vous que de la préparer à voir plutôt l'absurdité des opinions et des mœurs consacrées par le sceau de l'autorité sacrée, publique, ou législative, par conséquent, à lui en inspirer le mépris?

 

L'homme, dans l'état actuel de la Société, me paraît plus corrompu par sa raison que par ses passions. Ses passions (j'entends ici celles qui appartiennent à l'homme primitif) ont conservé, dans l'ordre social, le peu de nature qu'on y retrouve encore.

 

La Philosophie, ainsi que la Médecine, a beaucoup de drogues, très peu de bons remèdes, et presque point de spécifiques.

 

Celui qui ne sait point recourir à propos à la plaisanterie, et qui manque de souplesse dans l'esprit, se trouve très souvent placé entre la nécessité d'être faux ou d'être pédant : alternative fâcheuse à laquelle un honnête homme se soustrait, pour l'ordinaire, par de la grâce et de la gaîté.

 

Souvent une opinion, une coutume commence à paraître absurde dans la première jeunesse, et en avançant dans la vie, on en trouve la raison ; elle paraît moins absurde. En faudrait-il conclure que de certaines coutumes sont moins ridicules? On serait porté à penser quelquefois qu'elles ont été établies par des gens qui avaient lu le livre entier de la vie, et qu'elles sont jugées par des gens qui, malgré leur esprit, n'en ont lu que quelques pages.

 

La meilleure philosophie, relativement au monde, est d'allier, à son égard, le sarcasme de la gaîté avec l'indulgence du mépris.

 

Il y a une prudence supérieure à celle qu'on qualifie ordinairement de ce nom; l'une est la prudence de l'aigle, et l'autre, celle des taupes. La première consiste à suivre hardiment son caractère, en acceptant avec courage les désavantages et les inconvénients qu'il peut produire...

 

Dans les grandes choses, les hommes se montrent comme il leur convient de se montrer; dans les petites, ils se montrent comme ils sont.

 

L'opinion est la reine du monde, parce que la sottise est la reine des sots.

 

Il faut savoir faire les sottises que nous demande notre caractère.

 

On anéantit son propre caractère dans la crainte d'attirer les regards et l'attention, et on se précipite dans la nullité, pour échapper au danger d'être peint.

 

Toutes les passions sont exagératrices, et elles ne sont des passions que parce qu'elles exagèrent.

 

À voir la manière dont on en use envers les malades dans les hôpitaux, on dirait que les hommes ont imaginé ces tristes asiles, non pour soigner les malades, mais pour les soustraire aux regards des heureux, dont ces infortunés troubleraient les jouissances.

 

La plus perdue de toutes les journées est celle où l'on n'a pas ri.

 

En apprenant à connaître les maux de la Nature, on méprise la mort; en apprenant à connaître ceux de la Société, on méprise la vie.

 

La Gloire met souvent un honnête homme aux mêmes épreuves que la fortune ; c'est-à-dire, que l'une et l'autre l'obligent, avant de le laisser parvenir jusqu'à elles, à faire ou souffrir des choses indignes de son caractère. L'homme intrépidement vertueux les repousse alors également l'une et l'autre, et s'enveloppe ou dans l'obscurité ou dans l'infortune, et quelquefois dans l'une et dans l'autre.

 

Vain veut dire vide ; ainsi, la vanité est si misérable, qu'on ne peut guère lui dire pis que son nom. Elle se donne elle-même pour ce qu'elle est.

 

Il y a peu d'hommes à grand caractère qui n'aient quelque chose de romanesque dans la tête ou dans le cœur. L'homme qui en est entièrement dépourvu, quelque honnêteté, quelque esprit qu'il puisse avoir, est à l'égard du grand caractère, ce qu'un artiste, d'ailleurs très habile, mais qui n'aspire point au beau idéal, est à l'égard de l'artiste, homme de génie, qui s'est rendu ce beau idéal familier.

 

Quand on veut éviter d'être charlatan, il faut fuir les tréteaux; car si l'on y monte, on est bien forcé d'être charlatan, sans quoi l'assemblée vous jette des pierres.

 

Il y a peu de vices qui empêchent un homme d'avoir beaucoup d'amis, autant que peuvent le faire de trop grandes qualités.

 

Ce serait être très avancé dans l'étude de la Morale, de savoir distinguer tous les traits qui différencient l'orgueil et la vanité. Le premier est haut, calme, fier, tranquille, inébranlable. La seconde est vile, incertaine, mobile, inquiète et chancelante. L'un grandit l'homme, l'autre le renfle. Le premier est la source de mille vertus, l'autre, celle de presque tous les vices et tous les travers. Il y a un genre d'orgueil dans lequel sont compris tous les commandements de Dieu ; et un genre de vanité qui contient les sept péchés capitaux.

 

Je ne conçois pas de sagesse sans défiance. L'Écriture a dit que le commencement de la sagesse était la crainte de Dieu ; moi, je crois que c'est la crainte des hommes.

 

Le grand malheur des passions n'est pas dans les tourments qu'elles causent, mais dans les fautes, dans les turpitudes qu'elles font commettre, et qui dégradent l'homme. Sans ces inconvénients, elles auraient trop d'avantages sur la froide raison, qui ne rend point heureux. Les passions font vivre l'homme, la sagesse le fait seulement durer.

 

Un homme sans élévation ne saurait avoir de bonté ; il ne peut avoir que de la bonhomie.

 

L'homme sans principes est aussi ordinairement un homme sans caractère ; car s'il était né avec du caractère, il aurait senti le besoin de se créer des principes.

 

L'estime vaut mieux que la célébrité, la considération vaut mieux que la renommée, et l'honneur vaut mieux que la gloire.

 

Les gens faibles sont les troupes légères de l'armée des méchants. Ils font plus de mal que l'armée même ; ils infestent et ils ravagent.

 

Il est plus facile de légaliser certaines choses que de les légitimer.

 

La sottise ne serait pas tout à fait la sottise, si elle ne craignait pas l'esprit. Le vice ne serait pas tout à fait le vice, s'il ne haïssait pas la vertu.

 

Robinson dans son île, privé de tout, et forcé aux plus pénibles travaux pour assurer sa subsistance journalière, supporte la vie, et même goûte, de son aveu, plusieurs moments de bonheur. Supposez qu'il soit dans une île enchantée, pourvue de tout ce qui est agréable à la vie peut-être le désœuvrement lui eût-il rendu l'existence insupportable.

 

La conviction est la conscience de l'esprit.

 

La fausse modestie est le plus décent de tous les mensonges.

 

En voyant quelquefois les friponneries des petits et les brigandages des hommes en place, on est tenté de regarder la société comme un bois rempli de voleurs, dont les plus dangereux sont les archers, préposés pour arrêter les autres.

 

On n'imagine pas combien il faut d'esprit pour n'être jamais ridicule.

 

Quand les Princes sortent de leurs misérables étiquettes, ce n'est jamais en faveur d'un homme de mérite, mais d'une fille ou d'un bouffon. Quand les femmes s'affichent, ce n'est presque jamais pour un honnête homme, c'est pour une espèce. En tout, lorsqu'on brise le joug de l'opinion, c'est rarement pour s'élever au-dessus, mais presque toujours pour descendre au-dessous.

 

Il y a des hommes qui ne sont point aimables, mais qui n'empêchent pas les autres de l'être. Leur commerce est quelquefois supportable ; il y en a d'autres qui, n'étant point aimables, nuisent encore par leur seule présence au développement de l'amabilité d'autrui ; ceux-là sont insupportables : c'est le grand inconvénient de la pédanterie.

 

C'est la plaisanterie qui doit faire justice de tous les travers des hommes et de la Société. C'est par elle qu'on évite de se compromettre. C'est par elle qu'on met tout en place sans sortir de la sienne. C'est elle qui atteste notre supériorité sur les choses et sur les personnes dont nous nous moquons, sans que les personnes puissent s'en offenser, à moins qu'elles ne manquent de gaîté ou de mœurs. La réputation de savoir bien manier cette arme donne à l'homme d'un rang inférieur, dans le monde et dans la meilleure compagnie, cette sorte de considération que les militaires ont pour ceux qui manient supérieurement l'épée. J'ai entendu dire à un homme d'esprit : ôtez à la plaisanterie son empire et je quitte demain la Société. C'est une sorte de duel où il n'y a pas de sang versé, et qui, comme l'autre, rend les hommes plus mesurés et plus polis.

 

Peu de personnes peuvent aimer un philosophe. C'est presque un ennemi public qu'un homme qui dans les différentes prétentions des hommes, et dans le mensonge des choses, dit à chaque homme et à chaque chose : « Je ne te prends que pour ce que tu es, je ne t'apprécie que [pour] ce que tu vaux ; » et ce n'est pas une petite entreprise de se faire aimer et estimer, avec l'annonce de ce ferme propos.

 

Pour avoir une idée juste des choses, il faut prendre les mots dans la signification opposée à celle qu'on leur donne dans le monde. Misanthrope,  par exemple, cela veut dire Philanthrope ; mauvais Français, cela veut dire bon citoyen qui indique certains abus monstrueux ; Philosophe, homme simple, qui sait que deux et deux font quatre, etc.

 

De nos jours, un peintre fait votre portrait en sept minutes; un autre vous apprend à peindre en trois jours ; un troisième vous enseigne l'anglais en quarante leçons. On veut vous apprendre huit langues avec des gravures, qui représentent les choses et leurs noms au-dessous, en huit langues. Enfin, si on pouvait mettre ensemble les plaisirs, les sentiments, ou les idées de la vie entière, et les réunir dans l’espace de vingt-quatre heures, on le ferait ; on vous ferait avaler cette pilule, et on vous dirait : « allez-vous-en. »

 

L'homme le plus modeste, en vivant dans le monde, doit, s'il est pauvre, avoir un maintien très assuré et une certaine aisance qui empêche qu'on ne prenne quelque avantage sur lui. Il faut, dans ce cas, parer sa modestie de sa fierté.

 

Un homme d'esprit est perdu, s'il ne joint pas à l'esprit l'énergie de caractère. Quand on a la lanterne de Diogène, il faut avoir son bâton.

 

Quiconque n'a pas de caractère n'est pas un homme : c'est une chose.

 

Il y a des hommes à qui les illusions sur les choses qui les intéressent sont aussi nécessaires que la vie. Quelquefois cependant ils ont des aperçus qui feraient croire qu'ils sont près de la vérité ; mais ils s'en éloignent bien vite, et ressemblent aux enfants qui courent après un masque, et qui s'enfuient si le masque vient à se retourner.

 

Jouis et fais jouir, sans faire de mal ni à toi, ni à personne : voilà, je crois, toute la morale.

 

L'Éducation doit porter sur deux bases, la morale et la prudence; la morale, pour appuyer la vertu; la prudence, pour vous défendre contre les vices d'autrui. En faisant pencher la balance du côté de la morale, vous ne faites que des dupes ou des martyrs; en la faisant pencher de l'autre côté, vous faites des calculateurs égoïstes. Le principe de toute société est de se rendre justice à soi-même et aux autres. Si l'on doit aimer son prochain comme soi- même, il est au moins aussi juste de s'aimer comme son prochain.

 

J'ai détruit mes passions, à peu près comme un homme violent tue son cheval, ne pouvant le gouverner.

 

Les premiers sujets de chagrin m'ont servi de cuirasse contre les autres.

 

Lorsque mon cœur a besoin d'attendrissement, je me rappelle la perte des amis que je n'ai plus, des femmes que la mort m'a ravies ; j'habite leur cercueil, j'envoie mon âme errer autour des leurs. Hélas ! je possède trois tombeaux.

 

On s'effraie des partis violents, mais ils conviennent aux âmes fortes, et les caractères vigoureux se reposent dans l'extrême.

 

La vie contemplative est souvent misérable. Il faut agir davantage, penser moins, et ne pas se regarder vivre.

 

L'amour est un sentiment qui, pour paraître honnête, a besoin de n'être composé que de lui-même, de ne vivre et de ne subsister que par lui.

 

Toutes les fois que je vois de l’engouement dans une femme, ou même dans un homme, je commence à me défier de sa sensibilité. Cette règle ne m'a jamais trompé.

 

Un homme amoureux est un homme qui veut être plus aimable qu'il ne peut; et voilà pourquoi presque tous les amoureux sont ridicules.

 

C'est par notre amour-propre que l'amour nous séduit ; hé ! comment résister à un sentiment qui embellit à nos yeux ce que nous avons, nous rend ce que nous avons perdu et nous donne ce que nous n'avons pas ?

 

Otez l’amour-propre de l’amour, il en reste trop peu de chose. Une fois purgé de vanité, c'est un convalescent affaibli, qui peut à peine se traîner.

 

Peut-être faut-il avoir senti l'amour pour bien connaître l'amitié.

 

Une femme d'esprit m'a dit un jour un mot qui pourrait bien être le secret de son sexe : c'est que toute femme, en prenant un amant, tient plus de compte de la manière dont les autres femmes voient cet homme, que de la manière dont elle le voit elle-même.

 

Sentir fait penser. On en convient assez aisément ; on convient moins que penser fasse sentir ; mais cela n'est guère moins vrai.

 

La vanité n'appartient qu'à la nature faible ou corrompue ; mais l'amour-propre, bien connu, appartient à la nature bien ordonnée.

 

Un homme amoureux, qui plaint l'homme raisonnable, me paraît ressembler à un homme qui lit des contes de fées, et qui raille ceux qui lisent l'histoire.

 

Quelque mal qu'un homme puisse penser des femmes, il n'y a pas de femme qui n'en pense encore plus mal que lui.

 

Le Philosophe qui fait tout pour la vanité, a-t-il droit de mépriser le Courtisan qui fait tout pour l'intérêt ? Il me semble que l'un emporte les louis d'or et que l'autre se retire content, après en avoir entendu le bruit. D'Alembert, courtisan de Voltaire par un intérêt de vanité, est-il bien au-dessus de tel ou tel courtisan de Louis XIV, qui voulait une pension ou un gouvernement ?

 

Quand un homme aimable ambitionne le petit avantage de plaire à d'autres qu'à ses amis, comme le font tant d'hommes, surtout de gens de lettres, pour qui plaire est comme un métier, il est clair qu'il ne peut y être porté que par un motif d'intérêt ou de vanité. Il faut qu'il choisisse entre le rôle d'une courtisane et celui d'une coquette, ou si l'on veut d'un comédien. L'homme qui se rend aimable pour une société, parce qu'il s'y plaît, est le seul qui joue le rôle d'un honnête homme.

 

La plupart des livres d'à présent ont l'air d'avoir été faits en un jour, avec des livres lus de la veille.

 

Pour être un grand homme dans les Lettres, ou du moins opérer une révolution sensible, il faut, comme dans l'ordre politique, trouver tout préparé et naître à propos.

 

Les Gens de Lettres, surtout les Poètes, sont comme les paons, à qui on jette mesquinement quelques graines dans leur loge, et qu'on en tire quelquefois pour les voir étaler leur queue, tandis que les coqs, les poules, les canards et les dindons se promènent librement dans la basse-cour, et remplissent leur jabot tout à leur aise.

 

Plusieurs Gens de Lettres croient aimer la gloire et n'aiment que la vanité. Ce sont deux choses bien différentes et même opposées; car l'une est une petite passion, l'autre en est une grande. Il y a, entre la vanité et la gloire, la différence qu'il y a entre un fat et un amant.

 

Plusieurs Gens de Lettres croient aimer la gloire et n'aiment que la vanité. Ce sont deux choses bien différentes et même opposées; car l'une est une petite passion, l'autre en est une grande. Il y a, entre la vanité et la gloire, la différence qu'il y a entre un fat et un amant.

 

Les Rois et les Prêtres, en proscrivant la doctrine du suicide, ont voulu assurer la durée de notre esclavage. Ils veulent nous tenir enfermés dans un cachot sans issue; semblables à ce scélérat, dans le Dante, qui fait murer la porte de la prison où était renfermé le malheureux Ugolin.

 

La France, pays où il est souvent utile de montrer ses vices, et toujours dangereux de montrer ses vertus.

 

En France, on laisse en repos ceux qui mettent le feu, et on persécute ceux qui sonnent le tocsin.

 

La plupart des institutions sociales paraissent avoir pour objet de maintenir l'homme dans une médiocrité d'idées et de sentiments qui le rendent plus propre à gouverner ou à être gouverné.

 

L'Anglais respecte la loi et repousse ou méprise l'autorité. Le Français, au contraire, respecte l'autorité et méprise la loi.

 

Les pauvres sont les nègres de l'Europe.

 

Les hommes sont si pervers que le seul espoir et même le seul désir de les corriger, de les voir raisonnables et honnêtes, est une absurdité, une idée romanesque qui ne se pardonne qu'à la simplicité de la première jeunesse.

 

Définition d'un Gouvernement despotique : un ordre de choses où le supérieur est vil et l'inférieur avili.

 

 

 

 

Écrit par Fabien Rothey dans Chamfort, Littérature | Lien permanent | Commentaires (0) | |  Facebook | |  Imprimer | Pin it! | | |

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