Rosemary’s Baby et les années 60 (26/08/2012)

 Rosemary's Baby, Roman Polanski, 1968

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Le générique d’ouverture est accompagné d’une musique mielleuse sur laquelle une femme ne fait que répéter “lalalala”. Polanski n’attend pas pour nous prévenir que son film  va traiter du problème de la naïveté.

Un aspect de Rosemary’s Baby très peu soulevé par la critique est le rapport qu’il entretient avec les années 60, et particulièrement l’idéologie de libération qui a été produite aux États-Unis pendant ces années. Si Rosemary a été élevée dans le catholicisme et qu’elle en garde des traces (comme le démontrent ses rêves), elle a su s’adapter à son époque. Elle est entreprenante pour faire l’amour avec son mari (Guy : John Cassavetes). Au tout début du film, elle rit lorsqu’il lui demande s’il n’y aurait pas de la marijuana parmi les plantes de l’appartement qu’ils visitent. Lorsqu’elle organise chez elle une soirée avec ses amis, on s’aperçoit sans mal que ses invités appartiennent plus à la catégorie des «  branchés » qu’à une quelconque bourgeoisie traditionnelle.

Rosemary commence à percevoir ce qui se machine derrière son dos lorsqu’elle parcourt l’ouvrage sur la sorcellerie que lui a laissé un ami avant de mourir. Mais Guy le lui prendra des mains en lui assurant que ce livre la met dans tous ses états. Il le posera horizontalement tout en haut de leur bibliothèque, en équilibre sur deux autres volumes : « Sexual Behavior in the Human Male » et « Sexual Behavior in the Human Female. » Cette contiguïté n’est certainement pas fortuite. L’allusion est claire : contrairement à ce que prétend l’idéologie naïve des années 60, le sexe (chez l’homme comme chez la femme) n’est pas aussi innocent que ça. Il contient une face noire. Plus généralement, en libérant l’humain de Dieu, et de la pénible oppression des bonnes sœurs, on n’atteint pas nécessairement les rêves idylliques dans lesquels baignait la jeunesse américaine de cette époque, et dont l’influence se diffusa dans toutes les sphères de la société. Sans prétendre qu’il faut revenir à la religion, Polanski affirme que les choses sont plus compliquées. Ce n’est pas parce qu’on proclame fièrement son incroyance[i] qu’on se débarrasse du problème du mal.

Au lieu de laisser un doute sur la réalité du complot dont est victime Rosemary, ce qui, au fond, aurait été une position confortable, Polanski, à la toute fin du film, tranche sans laisser la moindre ambiguïté: le satanisme existe. Il sait s’organiser en sectes (en réseaux même). Il a du pouvoir, de l’argent. Il séduit en s’appuyant sur des penchants bien humains : l’ambition pour Guy, l’amour maternel pour Rosemary (le mal ne s’appuie pas seulement sur les passions tristes, mais aussi, avec bien plus de perversité, sur la bonté). Le spectateur qui pensait que toute cette histoire était un délire paranoïaque de femme enceinte est renvoyé à la position du naïf. Il se croyait malin avec sa démystification à base de psychologie, et il se retrouve brusquement avec toute la masse de ceux qui considèrent qu’en dehors des oppressions bien balisées par l’idéologie du moment, il n’y a que de l’innocence.

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[i] C’est ce que fait leur voisin la première fois qu’il reçoit le couple à dîner. Comme pour donner plus de généralité à cette prétention, la couverture du Times que Rosemary feuillette dans la salle d’attente de son médecin a pour titre : « Dieu est-il mort ? »

Écrit par Fabien Rothey | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : roman polanski, rosemary's baby, analyse, critique, satanisme, secte, mal, sexe | |  Facebook | |  Imprimer | Pin it! | | |