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31/07/2012

Un Samedi comme les autres, Alexandre Mindadze, 2010

В Субботу

 Un Samedi comme les autres, Alexandre Mindadze, critique film


Le 26 avril 1986, Valerij, fonctionnaire du parti communiste, apprend par hasard qu’un réacteur de la centrale nucléaire de Tchernobyl a pris feu. Les autorités ne veulent pas alerter la population de la ville voisine. Valerij doit garder le secret. Il décide de ne prévenir que la femme qu’il aime et de fuir avec elle en train.

Tout le film se déroule dans une ambiance fiévreuse, accentuée par la technique aujourd’hui classique de la caméra à l’épaule. Au début, l’agitation fébrile du héros nous paraît dirigée contre la mort. Elle semble l’expression d’un instinct qui se démène pour sa survie. Mais une fois le train raté de peu, cette agitation n’a plus de visée ; elle se perd dans les activités de détente et de fête d’un samedi ordinaire.

On peut clairement attribuer une dimension allégorique au film : Tchernobyl comme symbole de la dégradation irréversible de la planète pendant que tout le monde vaque à ses occupations et ses plaisirs comme si de rien était. Mais c’est sans doute par sa dimension fantastique qu’il convient de l’aborder. Valerij est pris dans l’adhésivité du réel, un peu comme le héros du Château s’enlisait dans la neige. Il a beau s’essouffler, il se cogne contre les gens et reste sur place.

Dans une interview, Mindadze déclare : « Il faut fuir, mais tu es brusquement ensorcelé par ce qui t’es déjà arrivé des milliers de fois, mais qui est maintenant tout à fait différent, et tu ne peux pas t’extraire de ce cercle des choses ordinaires, sans importance, ridicules. Tu recomptes sans raison de l’argent dont en réalité tu n’as plus besoin ; tu joues de la batterie, parce que tu as très envie de jouer. Et tu es alors particulièrement inspiré, tu sens tout avec plus d’acuité ; tu te bas, tu veux tellement boire avec tes amis que tu ne peux pas lâcher tes bouteilles de vin quand il faut sauter sur le marchepied du train. »[i]

Alors qu’il s’était fixé un but simple, celui de fuir avec sa petite amie, le héros se prend dans le filet des activités du samedi. Les promeneurs, la danse, la musique, l’alcool le gênent non pas d’une manière réaliste, mais quasiment onirique. En effet, si les activités et les rencontres auxquelles il se laisse aller ne sont pas désirées, il serait exagéré de prétendre qu’il les subit. Bien que chacune d’elle le rapproche de la mort, on soupçonne qu’il les accueille malgré tout avec soulagement pour pallier l’angoisse et la mauvaise conscience qui le travaillent. Il sait qu’il devrait les rejeter pour fuir, il est constamment saisi de la velléité d’agir en ce sens, mais l’activité dionysiaque autour de lui le domine et l’entraîne. Tout le film peut se réduire à la description de cet état d’esprit ambigu. C’est dans cette optique que le réalisateur se trouve presque contraint d’introduire dans son histoire une logique onirique. Non pas l’irruption idiote d’un décor surréaliste de Dali dans un mauvais film d’Hitchcock, mais le rêve comme enchaînement de représentations et mode de fuite pour échapper à une angoisse qui nous taraude. Le héros essaie de circonvenir son malaise en accueillant et en utilisant les situations sur lesquelles il se cogne de la même manière qu’il arrive à un rêveur d’imaginer des scènes pour traiter les sensations désagréables de ses souvenirs ou de ses craintes. Et même s’il parvient à atteindre un relatif apaisement, l’angoisse refait toujours surface, l’obligeant à se jeter à corps perdu dans une action ou une rencontre nouvelle. Le héros abdique toute rationalité et toute persévérance dans l’intention pour s’abandonner au mode de traitement capricieux et éphémère du rêve.

Parallèlement à cette dynamique onirique, on observe une gradation : plus le héros se laisse gagner par le délire, plus il devient malsain, et plus il s’enfonce dans le délire… jusqu’à cette fin cauchemardesque, d’autant plus effrayante qu’elle paraît d’abord idyllique.

Mindadze, en définitive, filme la face pourrie du dionysiaque, la morbidité et la catastrophe vers laquelle son élan peut conduire. La fuite du héros est empêchée non pas par l’apathie dans laquelle aurait plongé le système soviétique, mais par l’adhésivité mortifère d’une ferveur festive, tout à fait compatible avec la société russe actuelle, l’Europe et une partie toujours plus grande du reste du monde.

Un Samedi comme les autres, Alexandre Mindadze, critique film

 Un Samedi comme les autres, Alexandre Mindadze, critique film



[i]« Надо бежать, а ты неожиданно заворожён тем, что с тобой уже тысячу раз происходило, но теперь это всё другое и ты не можешь вырваться из круга обычных, мелочных, смешных вещей. Ты почему-то долго пересчитываешь деньги, которые тебе, в общем, уже не нужны; ты играешь на барабане, потому что тебе очень хочется сыграть. И в эту минуту ты особенно вдохновенен, ты острее всё чувствуешь; в эту минуту ты дерёшься, ты настолько сильно хочешь опохмелить своих друзей, что не можешь выпустить из рук бутылки с вином, когда время прыгать на подножку поезда. »

 

Écrit par Fabien Rothey dans Cinéma, Mindadze | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : un samedi comme les autres, alexandre mindadze, critique film | |  Facebook | |  Imprimer | Pin it! | | |

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