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23/06/2012

La Jambe, Nikita Tiagounov, 1991

 Нога

 La Jambe, Nikita Tiagounov, critique film


Nikita Tiagounov est resté l’auteur d’un seul film, sans doute le meilleur sur le traumatisme de la guerre d’Afghanistan, en tout cas le plus imprégné de folie. Adaptation d’une nouvelle de Faulkner, il relate sans massacre ni coup de feu la dégradation malsaine d’une âme.

Martyn et Ryji font leur service militaire au Tadjikistan. Dès le début, il y a quelque chose qui ne va pas : on ne voit pas le reste de leur unité, ils sont dans la nature, ils ne font pas grand-chose, ils discutent avec Kamilla, une belle et jeune Tadjike, ils prennent le thé avec son frère. Cette atmosphère idyllique est suspecte. On s’inquiète même d’être tombé sur un navet mélodramatique et kitsch.

Ils sont ensuite transférés en Afghanistan. Martyn trouve les morceaux du corps de son ami dans une caisse déposée en évidence en plein milieu d’une piste. Laissant son unité sur place, il s’empare du tank pour détruire un village. Cette scène ne nous est pas montrée, pas plus que celle où un combattant afghan détruit le char. On ne verra que le résultat de l’attaque, pour se retrouver ensuite dans un hôpital, où une vieille femme porte une jambe qu’on vient d’amputer.

Mais une fois dans cet hôpital, tout se brouille. Martyn rêve qu’il n’y avait rien dans la boîte. On comprend vite qu’il ne faut plus faire confiance à ce que l’on nous montre. Le héros reconstruit la réalité de ce qui s’est passé et se persuade de la véracité de ce qu’il imagine. Les doigts de pied de sa jambe coupée se mettent à bouger. Un personnage imaginaire apparaît, un double né à partir de sa jambe perdue. Nous sommes plongés à l’intérieur de son esprit malade, au cœur du trauma qui le pousse à cacher et à affabuler. La technique narrative ressemble à celle de David Lynch dans Mulholland Drive. On ne sait pas si l’on se trouve dans un rêve, un cauchemar, ou la réalité. On en vient à se demander si les scènes lyriques du début n’étaient déjà pas passablement déformées, voire complètement inventées. D’autant plus qu’en visionnant à nouveau attentivement le film, on se rend compte que le panneau « ПКР-47 » que les deux amis plantaient au Tadjikistan apparaît en Afghanistan.

Le frère de Kamilla retrouve sa sœur et sa mère mortes et il est persuadé que c’est Martyn qui les a tuées. Pourtant, il semblerait qu’il était à l’hôpital au moment des faits. À moins qu’on ait falsifié les preuves, ou que la scène d’interrogatoire qu’on nous montre soit elle aussi déformée. Il est possible que Martyn soit un criminel de guerre. Il a peut-être même tué un grand nombre de civils innocents.

Revenu en Russie, il tente de reprendre une vie normale. On lui fixe une jambe artificielle. On pourrait croire qu’il se réadapte, qu’il retourne à la normalité. Pourtant, ses expressions de visage le trahissent. Son rire strident paraît celui d’un crétin.

La Jambe, comme la plupart des premiers films, souffre de plein de défauts. Mais le thème brûlant qu’il aborde, l’audace de sa narration et le jeu de visage de l’acteur principal (Ivan Okhlobystin) le hissent au rang des perles rares de la fin du cinéma soviétique.

La Jambe, Nikita Tiagounov, critique film

 

Écrit par Fabien Rothey dans Cinéma, Tiagounov | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : la jambe, nikita tiagounov, critique film | |  Facebook | |  Imprimer | Pin it! | | |

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