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05/05/2012

La Peinture d’une vanité

 Empire, Alexandre Sokourov, 1986

 Alexandre Sokourov


En guise de crâne, une femme plutôt vieille clouée au lit. Elle n’a plus l’usage de ses jambes. Elle passe son temps au téléphone, allongée dans un cercueil. Suite à une erreur de l’opérateur, elle surprend une conversation où il est question du prochain contrat d’un tueur à gages. Elle essaye d’intervenir pour empêcher ce meurtre, mais là n’est pas l’intérêt du film. Sokourov ne développe bien sûr aucune intrigue policière. Son assassin est bien plus abstrait. Ce qui est réel, en revanche, c’est la manière dont cette femme se comporte. Elle enchaîne indécemment les expressions de visage et les tons de voix comme si elle jouait dans une mauvaise pièce de théâtre. Elle est effrayée, elle s’indigne, elle s’énerve, puis elle s’adoucit, elle murmure, sa voix devient plaintive. Elle paraît n’agir que pour se donner de l’importance, ou, plus précisément, pour ressentir la volupté de jouer un rôle valorisant. Son plaisir est palpable quand elle tire sur sa cigarette. Plus tard, elle se ménagera une pause dans son  feuilleton criminel pour parcourir les photos de mannequins d’un magazine de mode. Difficile de souligner plus clairement la puissance de sa vanité.

Cette femme surjoue ses réactions parce qu’elle crée dans sa tête un public qui l’admire. Elle anticipe la Madame Bovary que Sokourov représentera quelques années plus tard dans Sauve et protège. Elle vit constamment l’esprit tourné à fond vers ses fantasmes mélodramatiques. Sa voix et son visage la trahissent. Ils indiquent que la perception de la réalité banale ou sordide dans laquelle elle se trouve est brouillée, presque empêchée, par l’histoire romantique qu’elle puise dans son crâne et dont elle s’imagine être l’héroïne. Seul son dernier cri d’effroi, quand elle comprend qu’elle va être tuée, échappe à cette logique. Seule la mort la soustrait à son misérable théâtre.

Pourtant, Sokourov ne laisse pas son assassin se transformer en symbole métaphysique. En partant, il se prend les pieds dans le pot de chambre et tombe dans l’urine renversée. La vanité est souillée. Elle n’a aucune grandeur.

Sokourov Empire

 

Écrit par Fabien Rothey dans Cinéma, Sokourov | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : sokourov, empire | |  Facebook | |  Imprimer | Pin it! | | |

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