Arseni Tarkovski. La vie, la vie (01/03/2014)

Boris Grigoriev
Boris Grigoriev (1886 – 1939)

La vie, la vie


1

Je ne crois pas aux pressentiments et les présages
Ne m’effraient pas. Je ne fuis ni les calomnies,
ni le poison. La mort n’existe pas sur terre :
Tous sont immortels. Tout est immortel. Il est inutile
D’avoir peur de la mort, ni à dix-sept ans,
Ni à soixante-dix. Il n’y a que réalité et lumière,
Il n’y a ni ténèbres, ni mort dans ce monde.
Nous sommes déjà tous au bord de la mer,
Et je suis de ceux qui tirent les filets
Quand l’immortalité arrive en masse.


2

Vivez à la maison, et la maison ne s’écroulera pas.
J’appellerai n’importe quel siècle,
J’entrerai dedans et j’y construirai ma maison.
Voilà pourquoi vos enfants et vos femmes
Sont assis avec moi autour d’une même table,
Et il y a une seule table pour le bisaïeul et le petit-fils :
L’avenir s’accomplit aujourd’hui,
Et si je lève la main,
Les cinq rayons resteront chez vous.
Chaque jour du passé, comme un étaiement,
Mes clavicules servaient d’appui,
J’ai mesuré le temps avec une chaîne d’arpenteur
Et je suis passé à travers comme à travers l’Oural.


3


Je composais un siècle à ma taille.
Nous allions au sud, retenions la poussière au-dessus de la steppe ;
Les ronces fumaient ; la sauterelle folâtrait,
Touchait les fers à cheval avec sa moustache, et prophétisait,
Et me menaçait de mort, comme un moine.
J’ai attaché mon destin à ma selle ;
Je suis à présent dans des temps futurs,
Comme un garçon, je me dresse sur mes étriers.

Mon immortalité suffit
Pour que mon sang coule de siècle en siècle.
Je paierais volontiers de ma vie
Un bon coin toujours chaud,
Si mon aiguille volante
Ne me menait pas de par le monde comme un fil.


1965

 

original : Арсений Тарковский - Жизнь, жизнь.pdf

Écrit par Fabien Rothey | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : tarkovski arseni, poésie russe | |  Facebook | |  Imprimer | Pin it! | | |