Igor Bakhterev. Eternellement là (12/02/2013)

Traduction du poème en prose de Igor Bakhterev

Bakhterev, poème, poésie, traduction, russe, oberiou

Katarzyna Gajewska - Poetry

 

Éternellement là

Un rêve réel

 

Pourquoi, à quoi bon, pour quelle raison, où, surtout, devant qui, surtout ? Ces questions sont proposées à celui qui va lire ceci ; à celui qui aura ce malheur, je répondrai. Au fond, il n’y pas de réponse. N’en attends pas. N’attends rien. Je n’ai pas l’intention de donner une autre explication, je n’ose pas…

Et maintenant à propos de ceux qui ont les yeux non sur la nuque, comme tout le monde, mais sur le côté, là où est le nez. Regardez et réfléchissez, il ne saurait en être autrement, sinon tout ce qui est à venir sifflerait et glouglouterait. Et tout ça, en haut, dans l’espace, dans les étendues noires et incolores…

Ça marchait là-bas, dans l’immensité, n’ayant rien derrière ni devant. Dans les profondeurs du corps incommensurable. Ça continuait à marcher et marcher…

Ayant déjà perdu à l’époque ce qu’il y a de plus nécessaire, ce qui avale, ce qui tourne — le cou, les épaules, les oreilles. Ensuite, toute sorte d’autres choses : le pharynx, le nez très proéminent, les orbites et les yeux. On a des données, y compris la gremonovobie.

Et pourtant, ça marchait, ça ne pouvait faire autrement. En continuant à tourner ses mains ou d’autres membres équivalents. Peu après, environ cinq cents ans plus tard, les bras disparurent aussi.

Ils se transformèrent en joues. Et se pétrifièrent aussitôt.

En revanche, il restait les jambes — deux ou trois appuis. Mais elles aussi commencèrent à se durcir.

On changea de millénaire…

Et alors beaucoup d’autres choses se pétrifièrent — l’œuf de la tête, la gorge, le cou, presque tout enfin se pétrifia. Quelque chose restait à l’intérieur. Après quoi, tout se pétrifia.

Même la dernière chose n’est pas restée. La toute dernière. La chose ultime, que l’on appelle (partout et toujours) le mouvement.

En avant.

En arrière.

Un mouvement de côté.

Rien ne bougeait.

Sauf les Yadliks, qui émirent sur la nuque pétrifiée l’unique consonance accessible à ces petits :  

EN VAIN ET JE VOIS

Pendant que ces petits gnomes ailés, ces nains, ces puces de fumier se désagrégeaient. Là-bas, dans l’immense et lointaine étendue, dans le lointain courage courageux, ayant laissé après eux le silence.

Cette pétrification, sur laquelle ils s’affairaient il y a peu.

Il y a huit cents ans, et pas plus, selon le calcul universel.

D’étranges surfaces planes provenant d’autres mondes passaient en volant…

Et elle était debout, elle continuait à se tenir debout dans l’immobilité.

Elle se tient debout encore maintenant, dans l’obscurité et le silence.

Et elle restera toujours debout, certainement éternellement, consolant les anges, irritant le Seigneur, AMEN.

 

Leningrad

1932

 

Original en russe : Бахтерев Игорь - Вечно стоящее.pdf

Écrit par Fabien Rothey | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : bakhterev, poésie russe, oberiou | |  Facebook | |  Imprimer | Pin it! | | |