Nikolaï Oleïnikov. Le Cafard (09/01/2013)

Traduction du poème de Nikolaï Oleïnikov

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 Le Cafard

 

 

Le cafard est tombé dans le verre…

Dostoïevski



Le cafard est dans le verre.
Il suce son pied roux.
Il est tombé. Il est piégé
Et attend maintenant le supplice.

De ses yeux tristes,
Il jette un regard sur le divan,
Où, avec des couteaux, des haches,
Les vivisecteurs sont assis.

Sur la table l’assistant s’affaire
En essuyant les instruments,
Il grommelle dans sa barbe
La chanson du « Vaillant Trio ».

Il est difficile au singe de réfléchir,
Il n’a pas de pensées — il chante.
Le cafard est dans le verre,
Il suce son pied roux.

Le cafard se serre contre la paroi
Et regarde, respirant à peine…
Il ne craindrait pas la mort,
S’il savait que l’âme existe.

Mais la science a démontré
Que l’âme n’existe pas,
Que le foie, les os, le lard —
Voilà de quoi l’âme est formée

Il existe seulement des articulations,
Et ensuite des liaisons.

Contre les conclusions de la science
Il est impossible de résister
Le cafard, serrant les mains,
S’est préparé à la souffrance.

Et le bourreau s’approche de lui,
Puis, ayant palpé sa poitrine,
Il trouve sous les côtes
Ce qu’il lui faut percer.

Puis, l’ayant percé, il renverse sur le côté
Le cafard comme un porc,
Il hennit avec force et grince des dents,
Pareil à un cheval.

Alors vers lui en foule
Les vivisecteurs se pressent,
L’un à l’aide de pinces, l’autre à la main
Vident le cafard.

Cent quatre instruments
Déchirent en morceaux le patient.
De mutilations et de blessures
Le cafard mourra.

Il refroidit brusquement,
Ses paupières ne tremblent pas,
Les malfaiteurs sont revenus à eux
Et ils ont reculé un peu.

Tout le passé — la douleur, l’infortune.
Il n’y a plus rien.
Et les eaux du sous-sol
S’écoulent de lui.

Là, dans la fente de la grande armoire,
Abandonné par tous, seul,
Le fils balbutie : « Papa, papa ! »
Pauvre enfant !

Mais le père ne l’entend pas,
Parce qu’il ne respire pas.

Et au-dessus de lui se tient,
Le vivisecteur hardi,
Ebouriffé, hideux, poilu,
Avec des pinces et une scie.

Toi, lâche, qui porte un pantalon,
Sache que le cafard mort,
C’est un martyr de la science,
Et non pas simplement un cafard.

Le gardien de ses mains grossières
Le jette par la fenêtre,
Et dans la cour, tête la première,
Tombe notre cher petit être.

Sur le chemin piétiné
À côté du perron,
Les jambes relevées,
Il attendra sa triste fin.

Ses os secs
La pluie va arroser,
Ses yeux bleus
Le poulet va picorer.

1934



En russe : Олейников Николай - Таракан.pdf

 

Écrit par Fabien Rothey | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : oberiou, oleïnikov, poésie russe | |  Facebook | |  Imprimer | Pin it! | | |