Civilisation, culture et barbarie (25/06/2012)

 The Proposition, John Hillcoat, 2005

The proposition, John Hillcoat, critique film

L’action de The Proposition se situe dans l’outback australien, dans les années 1880, juste après le meurtre de la famille Hopkins commis par le gang des frères Burn. Après un générique composé de vieilles photos de famille connotant l’idylle et les bonnes mœurs, le film s’ouvre sur une série de coups de feu assourdissants dans une baraque en bois. Tout le monde meurt sauf Charlie Burns’ (Guy Pearce) et son petit frère Mickey, qui sont faits prisonniers. Le capitaine Stanley (Ray Winstone) fait alors une proposition à Charlie : lui et Mickey seront libérés s’il va tuer son grand frère Arthur (Danny Huston), un psychopathe ultraviolent qui s’est retiré dans le désert et dont la police n’ose pas s’approcher. Il lui laisse neuf jours pour accomplir sa mission ; sinon, Mickey sera pendu à Noël.

 

Le capitaine Stanley veut civiliser l’Australie. Il a été muté là avec sa femme, élégante et délicate (Emily Watson), traumatisée par le meurtre de la famille Hopkins, surtout quand elle apprendra que l’épouse, dont elle était l’amie, a été violée avant d’être tuée. Stanley met tout en œuvre pour cacher à sa femme la violence qui les entoure et qui suinte partout dans cette contrée perdue. On comprend alors sa motivation à vouloir imposer la civilisation, peu importe la violence et les tractations.

 

À cause d’un de ses subordonnés, la nouvelle de cette proposition se répand dans la ville et les habitants sont indignés qu’on ait pu relâcher un des coupables de ce meurtre horrible. Eden Fletcher, pour qui travaille le capitaine Stanley, ordonne qu’il soit administré cent coups de fouet à Mickey en place publique. Stanley s’y oppose, car cela risque de le tuer et de briser l’accord qu’il a passé avec son frère, mais il devra céder devant l’insistance de la foule et surtout de sa femme.

 

The Proposition est un western d’une violence impressionnante. Contrairement à ce que des critiques de mijaurées ont pu laisser entendre, cette violence n’est pas gratuite. D’ailleurs, la plupart du temps, elle ne se prolonge pas. Elle s’évanouit juste après nous avoir désarçonnés par son horreur et son intensité. Mais si elle disparaît, l’effet qu’elle a provoqué sur le spectateur imprègne toutes les autres scènes du film. Même dans la maison bien ordonnée et coquettement décorée des Stanley, on sent que la sauvagerie les entoure et les menace.

Arthur rappelle Kurt d’Au Cœur des ténèbres. Il est lié à des forces surnaturelles par les indigènes. Il est cultivé, épris de poésie, passe son temps à méditer en regardant le soleil, puis  commet calmement un acte d’une violence extrême. Lorsque le chasseur de prime Jellon Lamb (John Hurt) prend une balle dans le ventre après avoir tenté de capturer son frère, il s’approche de lui, curieux de le voir agoniser en récitant un poème qu’il connaît. On a l’impression qu’il est touché par cette marque de culture, mais il finit par lui dire, comme à regret, qu’il n’est pas son frère, et il se met à le torturer cruellement.

Toutes les scènes de film brouillent les frontières entre la civilisation, la culture et la barbarie. L’habitude de lier indéfectiblement les deux premières en l’opposant à la troisième est cassée dès les premières scènes du film. Ces trois ensembles s’interpénètrent. Ils n’agissent jamais l’un contre l’autre. Bien que madame Stanley pousse les signes de la civilisation jusqu’à la préciosité, elle ne pourra s’empêcher d’exiger le lynchage de l’adolescent à moitié idiot. La foule, d’abord avide de vengeance, finit par être dégoûtée des coups de fouet qui déchirent le dos de Mickey. Alors que les visages qui la composent étaient filmés comme des caricatures du désir de faire couler le sang, ils finissent par exprimer une attitude décente devant un spectacle immonde. Eden Fletcher, quant à lui, a beau incarner parfaitement l’aristocrate policée, il insiste, sans éprouver la moindre aversion ni la moindre empathie, pour que les coups de fouet continuent à faire gicler le sang. Arthur, enfin, passe de la culture à la barbarie le plus naturellement du monde. Admirant la voix de son protégé, il insistera pour qu’il chante une chanson avant de violer la femme de Stanley. Fletcher et Arthur, d’un côté et de l’autre de la loi, nous montrent que la culture et la civilisation s’accommodent très bien de la barbarie. Elles semblent même pouvoir façonner un caractère qui la tolère mieux, qui peut décupler sa violence.  

 

On me dira que tout cela est bien connu. Pourtant, la violence du film nous le fait redécouvrir d’une manière plus viscérale, plus frontale. Il n’en devient pas pour autant un chef-d’œuvre, mais peut-être un très bon western. D’autant plus que les acteurs sont tous excellents.

À la fin, Charlie Burn tue son frère. Alors que ce dernier ne cessait d’insister sur l’importance d’être une famille, Charlie décide de sortir du tribalisme pour une question morale. Ce geste signe la fin d’une époque, celle où l’Australie hésitait entre la violence aveugle des bandes et la société structurée, vulgaire ou raffinée. Une signature sans mélancolie et sans enthousiasme.

The proposition, John Hillcoat, critique film

 

Écrit par Fabien Rothey | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : the proposition, john hillcoat, critique film | |  Facebook | |  Imprimer | Pin it! | | |