Le Papier sera bleu (04/06/2012)

 Hârtia va fi albastră, Radu Muntean, 2006

Le papier sera bleu, Radu Muntean, the paper will be blue

Le Papier sera bleu est le second long métrage de Radu Muntean, un des plus grands réalisateurs roumains contemporains. L’action du film se déroule pendant la révolution de 1989, le 22 décembre, quelques heures avant le renversement du régime de Ceauşescu. Les soldats d’une patrouille ne savent pas ce qui va leur arriver, ils passent leur temps à fumer et à discuter en attendant de savoir si le pouvoir va changer de main ou pas. Seul l’un d’entre eux, Costi, décide de quitter son service pour aller se battre aux côtés des rebelles. Ses camarades, effrayés de devoir justifier la présence d’un déserteur parmi eux, passent la nuit à le chercher. Ils finissent par le trouver, mais en rentrant au petit matin, ils sont tous tués pour n’avoir pas donné le bon mot de passe.

Cette mort semble l’aboutissement du trouble généralisé que la révolution jette sur toute chose. Les combattants défendant le régime de Ceauşescu sont-ils au service du pouvoir ou bien sont-ils des terroristes ? Le terrorisme contre l’État est-il devenu l’État ? Le changement n’est pas certain. Le même mot peut s’appliquer à deux éléments opposés. Costi incarne ce flottement. Il est d’abord gardien de l’ordre du régime de Ceauşescu, puis il quitte son unité pour joindre un groupe de révolutionnaires. À leurs côtés, il devient un soldat qui lutte contre les « terroristes », qui soutiennent pourtant le système en place. Puis il est lui-même accusé de terrorisme quand les révolutionnaires remarquent son uniforme sous son blouson. Finalement, il sera autorisé à rentrer chez lui, où il retrouvera ses anciens camarades avant de réintégrer sa patrouille.

Contrairement au film Lucien Lacombe, ce passage d’un camp à l’autre n’entraîne aucune ignominie. Il donne bien plutôt l’impression d’un glissement sans conséquence. Comme si le désarroi généralisé entraînait moins la cruauté que l’abrutissement.

Muntean ne filme aucune scène de combat glorieuse ou impressionnante, les interrogatoires de suspects ne sont pas tendus, il n’y a ni sadisme, ni héroïsme. L’événement est noyé dans l’attente, le désordre. Pour la plupart, le changement n’a pas lieu dans la forme du combat ou de la résistance. La grande majorité des forces de l’ordre semblent attendre de savoir comment les choses vont basculer. Non pas avec anxiété, mais avec une certaine indifférence, comme s’ils ne s’attendaient pas à un changement radical dans leur vie quotidienne. En dépit de la mort stupide de tous les personnages principaux, il n’en découle pas une vision absurde de l’histoire. On est plutôt frappé par l’incroyable force du quotidien, la solidité de l’ancrage dans la vie de tous les jours. Tous les repères étatiques ont beau vaciller, il ne se produit pas de "tourbillon" ou de  perte d’identité, mais une persistance de l’ancien dans l’attente, la fatigue. Le geste et la parole du quotidien ne sont pas effacés. On parle de ce qu’on va faire au Nouvel An, de la musique qu’on aime. Il se passe quelque chose, certes, un bouleversement irréversible, peut-être, mais tout le monde ne va pas se transformer en conscience critique aiguë pour le mesurer, on ne s’excite pas, on ne verse pas dans le lyrisme pour le célébrer. Tout cela vient généralement après, souvent avec une grande dose de reconstruction et d’occultation. L’événement en lui-même est confus, fatigant et ennuyeux. Ce qui ne l’empêche pas d’être dangereux.

 Le papier sera bleu, Radu Muntean, the paper will be blue

 

Écrit par Fabien Rothey | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : le papier sera bleu, radu muntean, the paper will be blue | |  Facebook | |  Imprimer | Pin it! | | |